Ezio Gianola : « Márquez deviendra encore plus fort avec les années » (2/3)

Ezio Gianola Sportel
Ezio Gianalo pense Márquez capable d'égaler les huit titres du mythe Agostini en catégorie reine.
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Licencié en début de championnat par l’écurie Snipers en raison d’une divergence d’opinion, Ezio Gianola n’en reste pas moins un observateur avisé du monde des Grand Prix. Enthousiasmé par la nouvelle saison magnifique du prodige Marc Márquez, l’homme aux neuf victoires en 125cc profite de sa présence au Sportel Monaco pour tirer les enseignements de cet exercice 2018 et revenir sur le geste fou de son ancien protégé Romano Fenati.

Son aventure à la tête de l’écurie Snipers n’aura duré que l’espace de quelques mois. Remercié par ses employeurs après le Grand Prix de France en raison de points de vue antagonistes sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer la croissance du team italien, Ezio Gianola n’a depuis son éviction pas quitté un monde qui lui aura offert les plus belles joies de sa vie sportive. Vice-champion du monde de la catégorie 125cc en 1988, le Mandellesi comptabilise neuf victoires en onze saisons de compétition, un palmarès certes maigre en comparaison à ceux des monstres Giacomo Agostini (15 titres mondiaux) ou Valentino Rossi (9 couronnes mondiales), mais suffisant pour faire de celui qui a grandi au pays de la Moto Guzzi un homme respecté et écouté de l’autre côté des Alpes. Principal instigateur du retour d’une filière pour jeunes pilotes en Italie, le Transalpin a profité d’une semaine de pause entre les Grand Prix du Japon et d’Australie pour répondre favorablement à l’invitation des organisateurs du Sportel Monaco, le salon international du sport et des médias. Convié à venir s’exprimer sur l’ébouriffante saison 2018 de la Moto GP, l’ex-pilote Honda analyse en détail les performances des principaux protagonistes du championnat et n’hésite pas à voler au secours de son ancien protégé Romano Fenati.

À l’instar de son futur coéquipier chez Honda Jorge Lorenzo, de nombreux pilotes ont stigmatisé la trop grande agressivité de Márquez en piste. Pensez-vous, comme la grande majorité de ses congénères, que le Catalan prenne trop de risques ?

Non, c’est simplement son style ! Contrairement à ce que beaucoup de personnes peuvent croire, Marc ne prend pas de risques inconsidérés. Quand ils regardent les courses, les gens ont tendance à penser que Márquez dépasse les limites là ou se montre imprudent ici. Mais c’est faux ! Il ne surpilote pas. C’est juste sa façon à lui de piloter la moto. Márquez a sensiblement élevé son niveau de jeu cette année et les progrès effectués par Honda l’ont rendu encore plus redoutable qu’avant. La saison passée, Marc avait remporté le championnat au guidon d’une moto largement perfectible. La RC213V souffrait notamment de gros problèmes moteurs et électroniques. Honda a nettement amélioré ces deux aspects en 2018, rendant de facto Márquez plus impressionnant encore que les saisons précédentes.

En coiffant sa cinquième couronne mondiale en catégorie reine à seulement vingt-cinq ans, Márquez marque plus que jamais de son empreinte l’histoire de la Moto GP. Le natif de Cervera peut-il détrôner un jour le mythique record de Giacomo Agostini (15 titres mondiaux ndlr) ?

Agostini courait dans deux catégories différentes (350 cm3 et 500 cm3 ndlr) à l’époque. Il remportait donc deux titres chaque saison. En ces temps-là, le nombre de courses était aussi nettement plus limité qu’aujourd’hui puisque le championnat se composait d’une dizaine ou d’une douzaine de manches seulement. Les adversaires d’Agostini ne bénéficiaient, de surcroît, pas du même matériel que lui. Ils roulaient sur des motos différentes. Agostini a, enfin, eu la chance de se battre contre deux ou trois adversaires de qualité tout au plus. Aujourd’hui, Márquez doit affronter beaucoup plus de pilotes talentueux. Marc peut battre le record de huit titres en catégorie reine selon moi. Il a l’âge pour y parvenir. Cela va uniquement dépendre de lui et de son envie de se maintenir au plus haut niveau. De nouveaux rivaux pourraient aussi venir lui faire de l’ombre un jour ou l’autre. Aller chercher les 15 titres d’Agostini me semble difficile parce qu’à un moment donné on fatigue, on est usé par la compétition sans compter que l’on peut aussi se faire mal. En revanche, les huit couronnes en Moto GP me paraissent un objectif réalisable.

« Ducati aurait peut-être dû garder Lorenzo, car quand les choses fonctionnent comme il le désire, il est pratiquement intouchable. Jorge a déjà remporté cinq titres, il sait comment on gagne un championnat »

Compte-tenu des progrès effectués par Márquez chaque saison et de sa fidélité à Honda, voyez-vous quelqu’un capable de venir le déloger de son piédestal dans les années à venir ?

Les autres pilotes doivent pratiquement se tuer pour tenter de le suivre (sourire), c’est dire le niveau atteint par Márquez aujourd’hui. Marc est devenu redoutable dans les moments difficiles. Quand il sent que sa Honda n’a pas les moyens de jouer la victoire à la régulière, il sait se contenter d’une deuxième, d’une troisième ou d’une quatrième place. Márquez n’a commis qu’une seule erreur cette saison, au Mugello (entretien réalisé avant sa chute de Valence lors du dernier Grand Prix de la saison). Ce jour-là, les Ducati étaient simplement plus fortes et il a bêtement essayé de les suivre. Il a appris de cette bêtise en Italie. Depuis, Marc n’a plus fauté une seule fois en course. Quand le podium était hors d’atteinte, il a sagement accepté de terminer quatrième. À l’inverse, Lorenzo et Dovizioso sont bien trop souvent partis à la faute pour espérer pouvoir empêcher Márquez de vaincre cette année encore.

Ducati, parlons-en justement. Comme vous le souligniez avec à-propos précédemment, la Desmosedici s’est très certainement imposée comme la meilleure machine du plateau en 2018. Pourtant, la marque de Bologne n’a pas réussi à conquérir un titre derrière lequel elle court depuis près de onze ans maintenant. L’animosité patente entre Jorge Lorenzo et Andrea Dovizioso n’a-t-elle pas directement profité à Márquez ?

Complètement. Ils possédaient tous les deux une meilleure moto que celle de Márquez, mais ils se sont gênés l’un l’autre et Marc en a brillamment tiré profit. Battre Márquez représente déjà une tâche extrêmement difficile en temps normal, mais si vos deux pilotes se tirent dans les pattes alors cela devient quasiment mission impossible. Avec Lorenzo et Dovizioso, Ducati aurait en théorie dû s’appuyer sur un duo de pilotes redoutable. Malheureusement, ils ont commencé à se chamailler, à se lancer des piques et au final ce sont eux qui ont commis les erreurs. Lorenzo a chuté de trop nombreuses fois, Dovizioso est lui aussi tombé à de multiples reprises et pendant ce temps-là Márquez gagnait les courses. En prenant des risques à des moments où cela n’était pas forcément nécessaire, les pilotes Ducati ont directement fait le jeu de Márquez.

Faute de résultats jugés suffisants par la direction de l’écurie italienne depuis l’arrivée du Majorquin à Borgo Panigale en 2017, Ducati a très tôt dans la saison (Mugello) pris la décision de se séparer de son pilote vedette Jorge Lorenzo. Le constructeur de Bologne n’a-t-il toutefois pas péché par excès de précipitation en libérant le triple champion du monde de Moto GP au moment même où celui-ci se mit enfin à gagner au guidon de la Desmosedici ?

Annoncer à Lorenzo qu’il ne rentre plus dans les plans de Ducati dès la deuxième course de la saison, c’est complètement absurde ! L’annonce officielle est certes intervenue en Italie, mais Lorenzo était un pilote libre dès l’Argentine. Ducati a dès lors choisi de promouvoir Dovizioso premier pilote de l’écurie à partir du Mugello. Or, Lorenzo l’a emporté ce week-end-là alors qu’il n’appartenait déjà plus à l’équipe. Pire que ça, c’est impossible ! Dans un tel contexte, l’écurie ne peut plus travailler dans la sérénité. Ducati aurait peut-être dû garder Lorenzo, car quand les choses fonctionnent comme il le désire, il est pratiquement intouchable. Jorge a déjà remporté cinq titres, il sait comment on gagne un championnat et la façon dont on combat des pilotes du calibre de Márquez ou de Rossi.

« Dovizioso a laissé s’échapper le titre cette année et il va d’abord devoir tirer les leçons de toutes les erreurs commises. L’an prochain, il n’aura plus à ses côtés un pilote aussi fort que Lorenzo. Il devra en tirer avantage »

Le couple Lorenzo-Márquez s’annonce des plus explosifs chez Honda l’an prochain. En prenant le pari de remplacer le docile Daniel Pedrosa par le sanguin Jorge Lorenzo, le constructeur japonais cherche-t-il à titiller l’égo de son champion du monde ou simplement à combler l’une de ses rares faiblesses ?

Si on se base uniquement sur le plan de la performance pure et sur le niveau de son line-up, Honda sera indubitablement plus forte l’an prochain. Mais le revers de la médaille c’est qu’il y aura, comme chez Ducati ou Yamaha cette année, deux coqs dans le même poulailler. Et à la différence de Yamaha, Honda devrait se battre pour la victoire en 2019. J’ai hâte de voir Lorenzo à l’œuvre aux côtés de Márquez. Il sera intéressant de savoir comment il va s’adapter à ce nouveau contexte. Jorge marchait très fort sur la Yamaha, mais il lui a ensuite fallu plus d’un an pour revenir sur le devant de la scène au guidon de la Ducati. Il a aussi commis beaucoup trop d’impairs cette saison. Sans ses nombreuses chutes en courses et en essais, Lorenzo aurait pu rivaliser avec Márquez pour le titre mondial.

Andrea Dovizioso avait estomaqué le paddock la saison passée en tenant tête à Márquez jusqu’à la dernière course du championnat. L’Italien n’a pas su rééditer pareille performance en 2018, alternant le bon et le moins bon au guidon de sa Ducati. Le vice-champion du monde 2017 a-t-il simplement eu du mal à assumer son nouveau statut de rival numéro un du Catalan ?

Dovizioso a beaucoup progressé ces dernières saisons, mais il demeure bien évidemment perfectible. « Dovi » a eu le malheur de rater trois courses en début d’année et contre un pilote du niveau de Márquez cela ne pardonne pas. Avec trois Grand Prix d’avance, Marc devient irrattrapable. Je ne vois d’ailleurs pas un seul pilote capable de le battre à l’heure actuelle. Après, à chaque saison sa vérité comme on dit. Andrea doit encore franchir un cap et pour y parvenir il doit s’inspirer de Márquez. Marc n’hésite pas à copier un Rossi, un Lorenzo ou même un Dovizioso quand cela lui est utile. Si tu veux progresser dans un univers aussi compétitif, tu dois forcément imiter tes adversaires. Tu dois également cibler leurs points faibles et appuyer précisément dessus à la moindre occasion. Si tu n’y parviens pas, alors il te faut inscrire le maximum de points à chaque course, car Márquez n’est pas le genre de pilote à en laisser traîner en route.

Contrairement à l’an dernier, Dovizioso n’a cette fois-ci pas très bien géré la confrontation en interne avec Jorge Lorenzo. Preuve de cette fébrilité nouvelle, le Transalpin a souvent chuté cette année là où les précédentes saisons il ne commettait pratiquement jamais d’erreurs. Quels changements va-t-il devoir opérer pour espérer rebondir en 2019 ?

Dovizioso a laissé s’échapper le titre cette année et il va d’abord devoir tirer les leçons de toutes les erreurs commises. L’an prochain, il n’aura plus à ses côtés un pilote aussi fort que Lorenzo. Il devra en tirer avantage. « Dovi » est un pilote très rapide, mais à la différence des autres, il n’a jamais remporté le championnat. Quand on a déjà gagné des titres, on a l’habitude de vivre avec cette pression. En 2017, Dovizioso a décroché six victoires et a terminé le championnat à la deuxième place. Cette saison, il se classe de nouveau à la seconde position du classement, mais il finit bien trop loin de Márquez (76 points de retard ndlr). En 2019, il aura à ses côtés un pilote encore en phase de progression avec Petrucci. Sans la présence forcément perturbante d’un Lorenzo, Dovizioso devra démontrer qu’il peut encore progresser et obtenir de meilleurs résultats.

Propos recueillis par Andrea Noviello

Andrea Dovizioso Australie
Pour Ezio Gianola, Dovizioso doit davantage s’inspirer de ses rivaux pour espérer remporter le titre.

   

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