Licencié en début de championnat par l’écurie Snipers en raison d’une divergence d’opinion, Ezio Gianola n’en reste pas moins un observateur avisé du monde des Grand Prix. Enthousiasmé par la nouvelle saison magnifique du prodige Marc Márquez, l’homme aux neuf victoires en 125cc profite de sa présence au Sportel Monaco pour tirer les enseignements de cet exercice 2018 et revenir sur le geste fou de son ancien protégé Romano Fenati.
Son aventure à la tête de l’écurie Snipers n’aura duré que l’espace de quelques mois. Remercié par ses employeurs après le Grand Prix de France en raison de points de vue antagonistes sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer la croissance du team italien, Ezio Gianola n’a depuis son éviction pas quitté un monde qui lui aura offert les plus belles joies de sa vie sportive. Vice-champion du monde de la catégorie 125cc en 1988, le Mandellesi comptabilise neuf victoires en onze saisons de compétition, un palmarès certes maigre en comparaison à ceux des monstres Giacomo Agostini (15 titres mondiaux) ou Valentino Rossi (9 couronnes mondiales), mais suffisant pour faire de celui qui a grandi au pays de la Moto Guzzi un homme respecté et écouté de l’autre côté des Alpes. Principal instigateur du retour d’une filière pour jeunes pilotes en Italie, le Transalpin a profité d’une semaine de pause entre les Grand Prix du Japon et d’Australie pour répondre favorablement à l’invitation des organisateurs du Sportel Monaco, le salon international du sport et des médias. Convié à venir s’exprimer sur l’ébouriffante saison 2018 de la Moto GP, l’ex-pilote Honda analyse en détail les performances des principaux protagonistes du championnat et n’hésite pas à voler au secours de son ancien protégé Romano Fenati.
Comme Dovizioso, Johann Zarco a vécu un championnat 2018 en dents de scie après avoir pourtant réalisé des prouesses la saison passée. L’écroulement des Yamaha peut-il à lui seul expliquer la sensible baisse de performance du Français ou doit-on aussi y voir les conséquences de son départ pour KTM ?
On parle souvent avec Johann parce qu’on s’apprécie et qu’on se connaît depuis de longues années. J’aime sa façon de piloter. Il est indubitablement très rapide. Je ne parviens, en revanche, pas à comprendre qu’un pilote puisse changer d’écurie au bout de seulement deux petites courses disputées dans la saison. Comment peut-on décemment travailler dans ces conditions ? Et comment voulez-vous que la marque pour laquelle vous courez puisse continuer à vous soutenir ? Quand un constructeur comme Yamaha apprend que vous le quitter, il arrête tout simplement de vous fournir des évolutions ou de nouvelles pièces. Au lieu de vous donner un matériel de premier choix, il va vous apporter du matériel de deuxième ou de troisième choix. D’un pilote capable de signer la pole, de se hisser en première ligne ou de figurer en tête d’un Grand Prix, Zarco est ainsi devenu un pilote transparent. On en venait même à se demander quelquefois si Johann courait tant on ne le voyait pas.
Zarco aurait pu rejoindre Honda en 2019 et ainsi devenir le coéquipier de Márquez. Le pilote français a finalement préféré opter en faveur de KTM, une écurie classée à une lointaine neuvième place cette saison. Comprenez-vous son choix ?
Cela dépend du contrat et de tellement de paramètres différents. La décision de Zarco aurait probablement été toute autre si Tech3 avait continué de recevoir le soutien technique de Yamaha. Il a forcément dû se passer quelque chose entre l’écurie d’Hervé Poncharal et Yamaha. Et cela a conduit Zarco à s’en aller chez KTM. L’idée de quitter Yamaha ne vient très certainement pas de lui, car la Yamaha demeure malgré tout une moto capable de gagner des courses. Poncharal a collaboré pendant vingt ans avec Yamaha et s’il a choisi de couper les ponts avec la marque aux diapasons c’est qu’inévitablement quelque chose s’est cassé avec Lin Jarvis ou je ne sais quelle autre personne. Tech3, comme Zarco, a donc peut-être été obligée de s’engager avec KTM.
« Rossi a probablement raison quand il demande des changements profonds. Cependant, il faut aussi essayer de comprendre pourquoi tant que Lorenzo était là la Yamaha fonctionnait bien »
Cela ressemble fort à un choix par défaut dans le cas du Tricolore …
Possible. Au départ, Zarco devait signer un nouveau contrat avec Yamaha. L’affaire ne s’est finalement pas concrétisée, car entre-temps Yamaha a choisi de ne pas poursuivre sa collaboration avec Poncharal. Concernant Honda, j’ignore ce qu’il s’est passé. Je sais, en revanche, que Johann voulait signer là-bas. Son avenir chez Ducati ayant rapidement été scellé, Lorenzo a de son côté bien anticipé le mouvement en se positionnant chez Honda dès le Grand Prix de France. En fin de compte si l’on regarde bien, tous les transferts se sont conclus entre le Mans et le Mugello. La chute de Zarco à domicile lui a très probablement fait mal, mais s’il a fini par ne plus exister sur la Yamaha c’est pour la simple et bonne raison que la marque ne lui a plus fourni le soutien adéquat.
Déçu par les performances déclinantes de sa M1 depuis deux saisons maintenant, Valentino Rossi a ouvertement critiqué Yamaha en dénonçant notamment le manque de développement de sa machine. L’écurie japonaise va-t-elle devoir, comme le soutien son septuple champion du monde italien, procéder à des changements profonds pour retrouver les sommets à l’avenir ?
Yamaha souffre depuis deux saisons maintenant. J’aime me rendre en bord de piste afin d’observer le pilotage des uns et des autres. La Ducati a sensiblement progressé sous la houlette de son ingénieur Luigi Dall’Igna. Chez Honda ils doivent travailler, car ils savent très bien qu’à l’heure actuelle la Ducati est au-dessus. Yamaha a pris l’habitude de se baser sur Honda, mais elle ne doit pas occulter les autres teams à commencer par Suzuki qui pousse fort derrière. Rossi a probablement raison quand il demande des changements profonds. Cependant, il faut aussi essayer de comprendre pourquoi tant que Lorenzo était là la Yamaha fonctionnait bien. Jorge avait un style de conduite parfait pour la M1. Il travaillait également très bien sur les pneus. Ce n’est donc pas un hasard si Lorenzo reste le dernier champion du monde au guidon de la M1. En laissant Jorge filer chez Ducati, Yamaha a un peu perdu son point de référence.
S’il n’a pas pu toujours le démontrer cette saison pour les raisons évoquées précédemment, Johann Zarco a quand même prouvé de manière sporadique que la Yamaha restait une moto compétitive …
C’est vrai. Zarco a un style similaire à celui de Lorenzo et celui lui a permis de rouler vite pendant un moment. L’annonce de son transfert chez KTM lui a, hélas, porté préjudice. Dès la mi-saison, Yamaha a arrêté de lui fournir du bon matériel pour la simple et bonne raison que Johann a décidé de rejoindre une autre écurie. Je sais très bien comment cela fonctionne. Tu peux effectuer la meilleure mise au point au monde sur la piste, si dans le même temps l’ingénieur à l’usine n’apporte pas à la moto le développement adéquat, tu es impuissant. C’est bien beau de vouloir hausser, baisser, tendre ou assouplir telle partie de la moto. Au final, seul le travail réalisé à l’usine compte. Rossi dit que Yamaha a besoin de changement, mais entre le dire et le faire vous savez … Au milieu il y a Honda, Ducati et même bientôt Suzuki. Valentino a donc probablement eu raison de tirer la sonnette d’alarme.
« Dani (Pedrosa) a préféré couper les ponts avec la moto à 33 ans. S’il n’avait plus la motivation nécessaire, alors il a eu complètement raison d’arrêter car dans ce sport tu dois rester concentré à 1000% »
En mettant la pression de manière aussi ostentatoire à son écurie, Rossi cherche-t-il à faire comprendre au board de Yamaha la gravité de la situation ?
Probablement. Rossi est un personnage tellement encombrant. C’est un grand nom qui bénéficie à tout le monde non seulement à Yamaha, mais aussi à la Dorna, au merchandising ou encore aux fans. Viñales est un garçon bourré de talent, mais quand on doit se coltiner au quotidien un géant comme Rossi, on peut facilement se perdre. Maverick a peut-être envie d’explorer d’autres voies dans le développement de la moto, mais les choix de Rossi prédominent. Dans l’esprit de nombreuses personnes, Valentino doit terminer devant tous les autres à commencer par son coéquipier. En Espagne, il se murmure toutefois que Viñales désirerait plus d’attention de la part de Yamaha. Maverick aimerait essayer d’autres approches quand bien même cela ne fonctionne pas toujours. On l’a bien vu cette saison, quelquefois il réalise de très belles courses et d’autres fois il se noie complètement. Pour en revenir plus généralement à Yamaha, les ingénieurs ont pleinement conscience du travail qui les attend. Cependant, les choses ne sont pas aussi simples. Retrouver les sommets ne sera clairement pas une partie de plaisir, mais ils doivent impérativement travailler d’arrache-pied pour rebondir en 2019.
Pour la première fois depuis ses débuts dans la catégorie 125cc en 2001, Daniel Pedrosa n’a pas remporté la moindre course cette saison. Le jockey espagnol n’avait-il tout simplement pas la tête ailleurs depuis l’annonce de son départ en marge du Grand Prix d’Allemagne ?
Je le crains, même si quelque chose a aussi dû se passer en interne. Alberto Puig a longtemps été le manager de Pedrosa avant de remplacer Livio Suppo à la tête du HRC. Des frictions ont forcément éclaté entre les deux. Quand Honda a annoncé à Pedrosa qu’ils ne lui renouvelleraient pas son contrat, Dani s’est sans doute imaginé rejoindre Yamaha. Malheureusement, Yamaha ne pouvait pas lui proposer un guidon de pilote officiel. Dani s’est alors rabattu sur les seconds choix comme KTM, Pramac ou même Aprilia. Sans plus de succès. En fin de compte, un pilote de la trempe de Pedrosa se dit : « si je dois continuer à courir, je le ferais au guidon d’une moto officielle et avec le soutien d’un team officiel ». Sans cette perspective, la motivation disparaît.
Devenir pilote essayeur chez Honda représentait donc l’unique voie de secours pour le Barcelonais ?
En quelque sorte. Pedrosa sait pertinemment que dans une écurie satellite, des petites contrariétés deviennent à la longue de gros problèmes. Cet écueil l’a, sans doute, incité à s’arrêter là. Concernant sa décision de devenir pilote essayeur, je n’ai pas d’avis tranché sur la question. C’est avant tout un choix personnel. Stoner l’a fait avant lui. Quelque part, ça lui permet de rester encore un peu dans le milieu. Il faut bien comprendre que lorsque tu ranges le casque et que tu abandonnes la compétition, tout s’arrête. Tu n’as plus rien derrière. C’est terminé. Définitivement. Tu ne vas pas t’amuser à jouer les acteurs ou les chanteurs. Dani a préféré couper les ponts avec la moto à 33 ans. S’il n’avait plus la motivation nécessaire, alors il a eu complètement raison d’arrêter car dans ce sport tu dois rester concentré à 1000%.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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