Journaliste à La Provence depuis maintenant sept ans, Loïc Chenevas-Paule a comblé un immense vide en rédigeant la toute première biographie française sur Fernando Alonso. De la genèse du projet, en passant par son méticuleux travail préparatoire ou encore le retour chaleureux des lecteurs : le Marseillais dévoile les dessous d’un très réussi premier ouvrage consacré à la Formule 1.
Dans la sphère marseillaise il fait figure d’ovni. D’exception à la règle. De cas singulier. Contrairement à bon nombre de ses concitoyens du Bouches-du-Rhône, lui a préféré les sports mécaniques au club de football phare de la région : l’Olympique de Marseille. Amoureux de Formule 1 depuis son enfance, Loïc Chenevas-Paule a logiquement fini par franchir le pas en rédigeant un tout premier ouvrage autour de sa discipline de prédilection. Accompagné dans son travail par son confrère à l’AFP (Agence France Presse. Ndlr) et expert en la matière Daniel Ortelli (il est notamment auteur d’une biographie sur Lewis Hamilton et d’un livre sur le circuit Paul Ricard. Ndlr), le journaliste de La Provence a pondu une biographie de très grande qualité sur le pilote qui jadis berça ses dimanches après-midi de passionné. Soucieux de combler un vide autour de l’un des personnages les plus clivants, mais aussi l’un des plus talentueux de l’histoire de la catégorie reine, l’auteur de « Fernando Alonso, des Asturies à Alpine » a accepté de revenir sur la genèse d’un livre qu’il espère bien être le premier d’une longue série consacré à la F1.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire une biographie sur Fernando Alonso ?
Cela part d’un constat simple : ma passion de la Formule 1. Je suis un immense passionné de ce sport depuis tout petit. Aussi étrange que cela puisse paraître pour un Marseillais, je préfère les sports mécaniques à l’OM (Olympique de Marseille. Ndlr). Il y a aussi le fait que j’aime écrire. Enfant déjà je savais que je voulais faire ce métier (journaliste. Ndlr). En rencontrant Daniel Ortelli, journaliste à l’AFP, une opportunité d’écrire un livre sur Alonso s’est présentée. Lui comme moi apprécions beaucoup le pilote espagnol et le considérons comme un monstre sacré de la Formule 1 moderne. Avec Hamilton, Alonso est sans aucun doute l’un des tous meilleurs de la discipline. L’un des plus grands pilotes de ces vingt dernières années. Or, Daniel et moi avons constaté qu’aucun bouquin n’avait été écrit sur lui depuis 2006. Le dernier ouvrage consacré à Alonso, celui de Martine Camus, racontait l’histoire d’un pilote qui n’était même pas encore double champion du monde. On s’est donc dit qu’il fallait combler ce vide, car un grand champion comme Alonso méritait d’avoir davantage de choses écrites sur lui.
Comment avez-vous procédé avant de vous lancer pleinement dans le travail d’écriture ?
Comme je l’ai expliqué précédemment, je me passionne pour la Formule 1 depuis tout petit. J’ai donc lu beaucoup de livres sur la F1 quand j’étais enfant. En grandissant, j’ai continué à lire des articles de presse, des sites internet … Du Lionel Froissart, du Jean-Louis Moncet, du Toile F1 à l’époque ou plus récemment du Nextgen-Auto, j’en ai « bouffé » à foison. Le fait d’avoir lu beaucoup de choses sur Fernando Alonso m’a clairement facilité la tâche dans mon cheminement, car je savais où aller chercher. Je me souvenais de tel ou tel papier bien qu’ils aient été rédigés il y a cinq ou dix ans. Je suis Alonso depuis le début de sa carrière donc il a été assez facile de tout rassembler. La magie d’internet a, ensuite, opéré. 90% des articles repris dans l’ouvrage sont des articles que j’avais trouvé avant même d’écrire le livre. J’ai dégoté les 10% restants au fur et à mesure du travail d’écriture. On tombe toujours sur un article que l’on a oublié ou sur une petite pépite qui nous avait échappé. La recherche a nécessité trois grosses semaines et il m’a ensuite fallu deux bons mois pour terminer l’écriture. J’ai entamé mes recherches début septembre et achevé l’écriture mi-février. Si l’on condense tout, cela donne à peu près deux mois et demi de travail à temps plein.
Vous vous êtes beaucoup appuyés sur « Fernando Alonso le sacre de la jeunesse » de Martine Camus dans votre biographie du pilote espagnol. En quoi cet ouvrage vous a-t-il aidé à mieux cerner le « Taureau des Asturies » ?
Premièrement, cet ouvrage est vraiment excellent. Quelque part, il m’a permis de ressortir du tiroir une partie de la carrière d’Alonso que l’on avait malheureusement un peu oublié. Car l’Alonso victorieux, on l’a connu il y a quinze ans maintenant ! On est davantage resté sur l’Alonso frustré de la fin de la période Ferrari et de la période McLaren-Honda. S’appuyer sur le livre de Martine Camus permet donc de remettre au goût du jour le champion qu’il a été. Au même titre qu’un Lewis Hamilton, Fernando Alonso est un monstre sacré de ce sport. Ce qui les différencie avant tout aujourd’hui c’est le palmarès et ça c’est autant la faute d’Alonso que la faute à pas de chance. Daniel (Ortelli. Ndlr) connaissait aussi beaucoup Patrick Camus, le mari de Martine. Il y avait donc une petite symbolique à écrire la suite de l’histoire qu’elle avait brillamment conté dans le passé. Encore une fois, on s’est évertué à remettre au goût du jour le formidable travail réalisé par Martine à l’époque.
« J’ai écrit ce livre pour un public très large. Je voulais que le fan inconditionnel puisse sourire en se remémorant tel moment ou tel souvenir et que dans le même temps ceux qui ne l’ont connu qu’à partir de sa seconde période McLaren puissent se rendre compte du monstre sacré qu’était Alonso lors de ses années fastes »
Votre œuvre se découpe en quatorze chapitres, un chiffre forcément symbolique puisqu’il s’agit de celui porté par Fernando Alonso depuis l’introduction des numéros permanents en 2014. Aviez-vous prémédité ce petit clin d’œil ou l’idée vous est-elle venue au fil de l’écriture ?
Au moment de réaliser la première ébauche de sommaire et de chapitrage avec Daniel, on s’est dit que ce serait bien de ressortir dix points clés de la carrière d’Alonso. Une fois ce constat fait, on s’est regardé et on a pensé que ce serait bête de s’arrêter à dix chapitres. Avec tout ce que l’on avait comme éléments, on pouvait faire une petite symbolique avec ce numéro quatorze. On est donc parti sur quatorze chapitres. Cette idée nous est venue dès que l’on a terminé de dégrossir tout ce que l’on avait sur Fernando. Le découpage s’est, ensuite, fait assez naturellement. Je suis content que vous le releviez et que vous posiez la question, car tout le monde ne l’a pas fait. Peut-être que cela leur paraissait trop évident (rires. Ndlr).
Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour votre premier travail en tant qu’auteur ?
Sincèrement, cela a été fluide. Je me suis servi de mon expérience de journaliste à La Provence. Quand on est journaliste en PQR (Presse Quotidienne Régionale. Ndlr) et que l’on aime le sport, on est forcément amené à traiter beaucoup d’actualités de l’OM. Le fait de suivre le club pendant deux ans et demi m’a permis d’apprendre à être extrêmement rigoureux et exigeant sur un sujet qui me passionne. Cette expérience de journaliste OM m’a beaucoup servi dans l’écriture du « Alonso », car je me devais d’être objectif même si Fernando est le pilote qui m’a fait rêver quand j’étais adolescent. Au final, je n’ai pas rencontré d’écueil particulier en travaillant sur ce bouquin. La seule difficulté si je peux dire fut de réussir à vulgariser le plus possible la chose pour qu’une personne qui n’y connaisse rien à la Formule 1 puisse comprendre qui est Alonso. J’ai écrit ce livre pour un public très large. Je voulais que le fan inconditionnel puisse sourire en se remémorant tel moment ou tel souvenir et que dans le même temps ceux qui ne l’ont connu qu’à partir de sa seconde période McLaren puissent se rendre compte du monstre sacré qu’était Alonso lors de ses années fastes.
Vous n’avez, malheureusement, pas pu avoir un accès direct à Fernando Alonso lors de la préparation de cette biographie. Si vous aviez pu revenir avec lui sur ne serait-ce qu’un épisode clé de sa carrière, quel sujet auriez-vous aimé aborder ?
(Il réfléchit instant avant de se lancer. Ndlr) Sans doute Singapour 2008 pour connaître vraiment son ressenti sur cette histoire et savoir si quinze ans après les faits il y a toujours un malaise à en parler. Il est trop facile, selon moi, de se baser sur une intime conviction et d’affirmer qu’il était au courant. Cela me gêne, car on n’en sait rien. Peut-être qu’effectivement il était au courant, mais ça on ne le saura que dans quelques années. Seul lui et les personnes avec qui il était connaissent la réponse. J’ai vraiment mis un point d’honneur à voir comment des journalistes reconnus du milieu avaient traité cet épineux sujet. Quand l’un des monstres sacrés du journalisme F1 comme Andrew Benson ou des sources proches du dossier prétendent qu’Alonso n’était pas au courant, j’aurais plutôt tendance à les croire. Alors peut-être que là aussi tout est manipulé, mais j’avais à cœur de mettre en avant cette réalité des choses.
« Avec Daniel Ortelli, on travaille sur un bouquin consacré à l’histoire de la Formule 1. Il sera axé autour des champions du monde, de leurs voitures et des hommes qui ont compté pour eux. Si tout va bien, ce livre sortira dans les prochains mois chez Casa Éditions »
Trois mois se sont déjà écoulés depuis la sortie de votre livre le 11 mai dernier. L’accueil du public a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
Complètement. J’ai reçu énormément de retours positifs autour du bouquin. Beaucoup de bienveillance aussi. Cela fait d’autant plus plaisir qu’il s’agissait de mon premier livre et de ma première expérience en tant qu’auteur. Dans ces cas-là, on ne sait jamais vraiment où l’on va. Des personnes que je ne connaissais pas m’ont, par exemple, envoyé des messages sur les réseaux sociaux. D’autres m’ont, même, proposé de les rencontrer lors du Grand Prix de France ! J’ai trouvé ça très sympa de pouvoir approcher et discuter avec de nouvelles personnes. J’ai, aussi, beaucoup apprécié le fait que des gens de ma génération m’avouent être eux-mêmes de grands fans d’Alonso (rires. Ndlr).
Avec le recul qui est le vôtre aujourd’hui quel regard portez-vous sur votre travail ? Êtes-vous pleinement satisfaits de votre production ?
Je n’ai vraiment aucun regret sur le livre parce que je me suis donné à fond et que j’y ai mis tout mon cœur. Alors forcément avec le recul, il y a peut-être des choses que j’aurais écrit différemment. Quand on relit son texte, on n’est jamais totalement satisfait et c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pas relu le livre depuis sa sortie (rires. Ndlr). Un journaliste a toujours cette quête de l’imperfection donc si je le relisais aujourd’hui peut-être quel tel ou tel passage ne correspondrait pas à ce que j’aurais voulu. On trouvera toujours quelque chose à redire, mais encore une fois je n’éprouve pas le moindre regret à propos de ce bouquin. J’ai mené un travail très rigoureux. Je me suis attaché à chercher des sources sérieuses, à les citer et surtout à les mettre en avant. En tant que journaliste, j’y accorde une importance toute particulière parce que lorsqu’une personne a une interview ou des informations exclusives et qu’on les reprend pour soi, la moindre des choses c’est de mettre en valeur le travail de cette personne. Daniel (Ortelli. Ndlr) m’a beaucoup aidé sur la forme et sur le fond. Il m’a relu, donné son ressenti. Au final, on a le sentiment d’avoir été dans le vrai.
Maintenant que vous vous êtes lancés, envisagez-vous d’écrire un autre livre sur la Formule 1 ?
Un autre ouvrage est déjà en cours. Avec Daniel Ortelli, on travaille sur un bouquin consacré à l’histoire de la Formule 1. Il sera axé autour des champions du monde, de leurs voitures et des hommes qui ont compté pour eux. Si tout va bien, ce livre sortira dans les prochains mois chez Casa Éditions. Daniel a été missionné sur ce projet et il avait envie de travailler avec moi. J’ai bien évidemment accepté, car on ne peut pas dire non à une personne aussi adorable et passionnée que ne l’est Daniel. Faire un autre livre sur le sport que j’aime est vraiment extra et ce l’est d’autant plus que je suis amené à écrire sur des pilotes que je n’ai pas vu courir. Les Farina, Phil Hill, Surtees, je ne les ai pas du tout connus ! Tout ce que je sais à leur sujet je l’ai lu dans des bouquins. Je me sens donc privilégié de mener un travail de recherche sur ces grands noms de la Formule 1. Le livre sera peut-être offert à Noël ou pour la fête des Pères et quelque part c’est cool de se dire qu’à travers lui des jeunes vont découvrir des champions qu’ils ne connaissent pas.
« Je vois de la cohérence là-dedans, car Aston Martin récupère un double champion du monde qui va leur permettre de faire avancer leur projet. De son côté, Alonso va prendre un petit chèque bien sympa au passage. Avec la nouvelle usine et tout ce qu’il y a derrière, Aston représente à mes yeux le projet avec le plus de potentiel et la meilleure marge de progression »
D’autant que tous ces grands noms de la discipline ont souvent une histoire assez incroyable …
Absolument. Quand on se replonge dans le portrait de ces personnalités-là, on se rend vraiment compte à quel point la Formule 1 est un sport de barjot ! Tous ces pilotes ont un charisme, un vécu, un truc différent qui nous permet de comprendre pourquoi ils ont été sacrés champion du monde un jour. Prenez l’exemple de Keke Rosberg. On a souvent tendance à le décrire comme le champion du monde le plus sous-coté de l’histoire. Mais à titre personnel je l’ai trouvé attachant. Quand j’ai lu sa vie, sa manière d’être, des anecdotes à son sujet, le fait qu’il soit un gros travailleur … Tout cela me l’a rendu attachant. L’idée à travers ce bouquin c’est aussi de montrer qu’un Keke Rosberg n’est pas un champion du monde moins méritant qu’un autre. Il a simplement eu le « malheur » d’être sacré lors d’une saison (1982. Ndlr) très particulière avec les accidents de Gilles Villeneuve et de Didier Pironi.
Un dernier mot sur le personnage central de votre livre, Fernando Alonso. L’Espagnol a provoqué une véritable onde de choc dans le paddock en annonçant au lendemain du Grand Prix de Hongrie sa signature chez Aston Martin et son départ d’Alpine à la fin de la saison. L’aviez-vous vu venir ?
Si je l’avais su à l’avance, je n’aurais peut-être pas titré le bouquin « Fernando Alonso des Asturies à Alpine » (rires. Ndlr) ! Plus sérieusement, je n’ai pas tant été surpris par le fait qu’il quitte Alpine pour être honnête. Quand on « bouffe » du Alonso pendant des mois, on apprend à décoder le « Alonso ». Toutes les déclarations autour de son contrat du genre : « on va discuter cet été, ce n’est pas vraiment urgent ou encore dix minutes autour d’une table vont suffire pour négocier le contrat », m’ont laissé penser que tout n’était pas aussi rose que cela avec Alpine. Sans mauvais jeu de mots (rires. Ndlr). Je me suis dit qu’il devait y avoir un truc qui cloche, car si c’était aussi facile que cela il aurait prolongé et on n’en aurait pas parlé. J’avais le sentiment que la relation avec Alpine n’était plus aussi harmonieuse que l’année dernière où l’on sentait une vraie osmose entre Alonso, Ocon, Alpine, Budkowski ou encore Prost. Cela faisait vraiment famille alors que cette année, Alonso s’est fendu de quelques petites piques envers Alpine. Je pense notamment au Canada où il s’est plaint à la radio de terminer derrière Ocon après l’avoir dominé tout le week-end. Avec Piastri qui arrivait derrière, je me suis dit qu’il n’allait peut-être pas faire de vieux os chez Alpine.
Et quid du choix Aston Martin ?
Là encore, j’ai davantage été surpris par le timing de l’annonce que par le choix en lui-même. Je ne m’attendais pas à une annonce dès le premier jour de la trêve estivale. Maintenant je vois de la cohérence là-dedans, car Aston Martin récupère un double champion du monde qui va leur permettre de faire avancer leur projet. De son côté, Alonso va prendre un petit chèque bien sympa au passage. Avec la nouvelle usine et tout ce qu’il y a derrière, Aston représente à mes yeux le projet avec le plus de potentiel et la meilleure marge de progression. Alors certes à l’heure actuelle, ce n’est pas terrible-terrible, mais je peux comprendre qu’un pilote comme Alonso se soit laissé séduire par le projet. Clairement, il ne jouera pas la victoire en 2023 ou 2024, mais remettre Aston Martin un peu plus haut sur la grille est challenge à sa portée. À 41 ans, Alonso tient tête à Ocon et aux autres jeunes loups du plateau. Il a donc encore de beaux restes le « père Fernand ».
Propos recueillis par Andrea Noviello
« Fernando Alonso : Des Asturies à Alpine », de Loïc Chenevas-Paule, Talent Éditions, 272 pages – 19,90 € au format papier et 11,99 € en format numérique.
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