Retiré du monde de la course à la suite de son terrifiant accident au Mans en 1999, Thierry Boutsen s’est depuis mué en brillant homme d’affaires. Invité de la 25ème édition du Sportel Monaco, le salon international des contenus sportifs, le Belge aux 163 Grand Prix décrypte la F1 contemporaine sans langue de bois et fustige l’assistance abusive dont bénéficient les pilotes modernes.
Thierry, tout d’abord comment allez-vous ? Votre vie de pilote vous manque-t-elle ou votre travail au sein de Boutsen Aviation comble-t-il suffisamment vos journées ?
Je vais très bien à tous les niveaux. (Grand sourire) À la fois sur le plan personnel, familial et professionnel. J’éprouve autant de plaisir aujourd’hui dans mon job que lorsque je pilotais des F1 auparavant. J’ai, de surcroît, la chance d’avoir à mes côtés une équipe très active et très sympathique. L’aviation a toujours été une passion que j’ai menée en parallèle avec ma carrière de pilote automobile. Je suis pilote d’avion depuis très longtemps maintenant et rentrer dans ce milieu là s’est fait de manière tout à fait naturel. Je vis ce travail comme la compétition. Essayer de vendre des avions représente un sacré challenge tous les jours et à chaque fois que j’y parviens c’est comme si je gagnais une course.
Si on vous donnait la possibilité de retrouver vos 20 ans aimeriez-vous rouler dans ces Formule 1 modernes ou préféreriez vous recourir à votre époque ?
Je ne connais pas les F1 actuelles et je ne sais pas à quoi cela ressemble au niveau de la conduite. J’aimerais bien les essayer une fois pour voir ce que font les pilotes aujourd’hui, ce qu’ils ont comme outil entre les mains. C’est certainement très différent de ce que nous avons vécu à l’époque. Quand j’ai commencé la F1 en 1983 les ordinateurs n’existaient tout simplement pas. Le pilote devait expliquer à l’ingénieur comment la voiture se comportait afin de l’améliorer, faire du développement et de la mise au point. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Les pilotes sont uniquement là pour conduire et quand ils rencontrent un problème ils l’expliquent à l’ingénieur, mais ils ne donnent aucunes solutions.
« Le côté instinctif de la chose n’existe plus malheureusement. À mon époque, on n’utilisait pratiquement pas la radio. Mes conversations avec l’équipe se limitaient à je rentre au stand ou des choses comme ça. À l’inverse, les pilotes sont complètements téléguidés aujourd’hui »
Les performances de la machine ont désormais clairement pris le pas sur celles du pilote. Cette prépondérance de la voiture sur l’homme n’est-elle pas problématique ?
C’était déjà le cas à mon époque, mais c’était beaucoup moins flagrant et il y avait toujours moyen, dans certaines circonstances un peu particulières, de faire la différence comme j’ai pu le réussir à quelques occasions. Actuellement c’est toujours la meilleure voiture qui gagne. La différence entre les deux pilotes ne s’opère ensuite qu’en fonction de la chance ou de la malchance et d’un concours de circonstance. Il est très intéressant de voir à quel point la technique a pris le pas sur le pilotage et la performance des pilotes. Même si on met le plus mauvais pilote du plateau dans la meilleure voiture il va gagner. Si on ne lui donne pas la meilleure voiture il ne peut absolument rien faire. Aujourd’hui, seul Alonso arrive à faire la différence au volant d’une mauvaise voiture.
Le bannissement partiel des conversations radios a fortement agité le paddock l’an dernier lors du Grand Prix de Singapour. Ne regrettez-vous que les pilotes d’aujourd’hui soient autant téléguidés par leurs ingénieurs ?
Il est clairement regrettable que les pilotes actuels communiquent sans arrêt, car le côté instinctif de la chose n’existe plus malheureusement. À mon époque, on n’utilisait pratiquement pas la radio. Mes conversations avec l’équipe se limitaient à « je rentre au stand » ou des choses comme ça. À l’inverse, les pilotes sont complètements téléguidés aujourd’hui. Tout est calculé, préparé, épié. Cela ne m’enthousiasme pas de voir comment les choses se passent, mais je crois que la communication est omniprésente de nos jours. Tout le monde est devant son smartphone, son ordinateur et communique perpétuellement. C’est le monde qui est comme ça. Je ne sais pas si une interdiction des conversations radios changerait quoique ce soit, car on pourra toujours communiquer avec des panneaux ou d’autres artifices.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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