Convié à participer en tant qu’invité à l’édition 2017 du Sportel Monaco, Alex Caffi porte un jugement sans concession sur les dérives de la Formule 1 contemporaine.
Des 115 pilotes italiens ayant évolué au plus haut niveau du sport automobile, il n’est pas le plus connu, ni même celui qui a su drainer le plus d’engouement derrière lui. En cinq saisons disputées en Formule 1, Alex Caffi compte pour meilleur résultat une quatrième place dans les rues impitoyables de Monaco. Pas de quoi déchaîner les passions ni même attirer les regards dans un pays où la ferveur des tifosis se porte exclusivement ou presque sur l’omnipotente Scuderia Ferrari. À sa décharge, le Transalpin n’a jamais eu la chance de piloter une machine capable de viser les points à la régulière. Ses six maigres unités, il a été les chercher à la force du poignet à une époque où la catégorie reine offrait encore aux plus mal lotis l’opportunité de s’extirper de leur pénible quotidien en queue de peloton le temps d’un dimanche après-midi de Grand Prix. Nostalgique d’un passé autrement plus captivant que le présent de la discipline, le natif de Rovato regrette la dévalorisation toujours plus conséquente du rôle du pilote et fustige les incohérences d’une réglementation trop rigide.
À votre époque les circuits en ville permettaient aux pilotes du fond de grille de se démarquer. Ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui …
Malheureusement, non. Les pilotes ne font plus la différence aujourd’hui. Ils peuvent, peut-être, se démarquer sur la longueur d’un championnat, mais pas sur une course. Il n’y a désormais plus que sur une saison entière que l’on peut voir la différence entre un pilote capable de gagner un championnat et un autre en mesure d’en remporter quatre. C’est avant tout une question de mentalité et d’attitude. Aujourd’hui, seule la voiture compte. Une Scuderia Italia qualifiée sur la deuxième ligne de la grille ou en sixième positon cela n’existe plus. Si on regarde attentivement, on a bien souvent deux Mercedes, deux Ferrari, deux Red Bull, deux, deux, deux, deux … De mon temps, on pouvait réaliser des exploits au volant de voitures moins compétitives surtout sur les circuits comme Monaco.
Le look particulièrement disgracieux des F1 depuis 2009 ne constitue-t-il pas une des principales raisons de la désaffection du public pour la catégorie reine ?
Le goût et les couleurs vous savez … Non, je ne crois pas que cela soit l’une des raisons. On a déjà eu des voitures particulièrement moches dans le passé. Je pense en revanche que le manque de bruit de ces moteurs hybrides a causé bien plus de tort à la discipline. La pure question esthétique demeure un faux débat selon moi.
« On a toujours changé le set-up de l’auto par le passé. Pourquoi ne pourrait-on plus le faire maintenant ? C’est totalement absurde »
Que ce soit en qualification ou en course les pilotes ne peuvent jamais attaquer à cause des pneus Pirelli. Doit-on imputer la faute au manufacturier italien ou à la complexité de la réglementation actuelle ?
Je n’en sais trop rien. Il faudrait poser directement la question à Pirelli. Peut-être ne sont-ils tout simplement pas capable de fabriquer de bons pneus. Je l’ignore. La réglementation est beaucoup trop complexe aujourd’hui, ça c’est une certitude. Plus les choses sont simples et plus facilement les gens s’adaptent. Ils ont tout compliqué. La stratégie a également pris une place prépondérante dans les courses modernes. Quelque part c’est beau parce qu’un pilote peut jouer avec ce facteur. Personnellement, je ne suis pas fan. On devrait juste avoir quatre pneus, durs ou tendres à vous de choisir et on en fait ce que l’on veut. Pareil pour l’essence. On décide combien on en embarque et c’est parti on roule.
Trouvez-vous normal que les pilotes ne puissent plus changer leurs réglages entre la qualification et la course ?
Ça aussi c’est complètement absurde ! Un pilote devrait pouvoir changer de réglages comme bon lui semble. Les instances n’arrêtent pas de nous rabâcher les oreilles avec leur sécurité et après ils empêchent les pilotes d’effectuer des changements de set-up quand les conditions météos évoluent d’un jour sur l’autre. Regardez ce qu’il s’est produit lors des qualifications à Monza. Ce fut un désastre ! Des pilotes ont failli se tuer parce qu’ils ont dû rouler avec des réglages secs sous le déluge. Cela n’a absolument aucun sens. Qu’est-ce que cela peut-il bien changer de modifier les réglages d’une voiture avant une séance ? On a toujours changé le set-up de l’auto par le passé. Pourquoi ne pourrait-on plus le faire maintenant ? C’est totalement absurde ! Beaucoup de règles sont ridicules en F1 aujourd’hui. La FIA perd son énergie à débattre sur des détails grotesques et ne prête aucune attention à des questions vraiment importantes.
D’autant que modifier le set-up de la voiture ne génère pas de frais supplémentaires …
Clairement pas. Cela ne change absolument rien et en plus en modifiant les réglages de l’auto avant une séance comme celle de Monza, on évite de mettre la sécurité des pilotes en jeu.
« On doit d’abord commencer par travailler sur les circuits. Rendons-les plus difficiles et ensuite seulement on pourra se pencher sur les voitures »
Les vrais dépassements ont quasiment disparu depuis l’introduction du DRS. Doit-on bannir son utilisation dans le futur ?
Les voitures modernes sont ainsi construites que sans DRS il serait impossible aux pilotes de doubler. Et ce pour les raisons invoquées précédemment. L’erreur n’existe plus aujourd’hui, on ne peut donc pas pousser le pilote devant soi à la faute. Sans erreur, on n’a pas de dépassement. Il faudrait opter pour un changement significatif des voitures et des circuits. En l’état actuel de choses, le DRS doit être conservé parce que sinon on en reviendrait à des courses soporifiques où personne ne peut se doubler. Certains pilotes d’aujourd’hui ont même du mal à dépasser quelquefois avec le DRS donc imaginez sans.
Augmenter de manière aussi conséquente l’appui aérodynamique des monoplaces n’était finalement pas une aussi bonne idée que cela …
Quelle est vraiment la bonne solution ? Je n’en sais rien. Les voitures sont tellement sophistiquées de nos jours qu’il serait difficile de revenir en arrière. On ne peut pas agir à l’improviste et rendre les autos telles qu’on les avait en 1989. On doit d’abord commencer par travailler sur les circuits. Rendons-les plus difficiles et ensuite seulement on pourra se pencher sur les voitures. Enlevons également tous ces appendices aérodynamiques superflus afin de rendre les autos plus propres. Mettons uniquement des ailerons avant et des ailerons arrière. Cela suffit amplement. On n’a pas besoin de tous ces déflecteurs ridicules. Essayons déjà de tendre vers ça afin de rendre les voitures non seulement plus simples, mais aussi plus exigeantes à piloter.
Quelles autres solutions préconiseriez-vous ?
Il faudrait aussi des moteurs un peu plus puissants, des pneus peut-être moins larges et moins d’appui global sur les autos. Une voiture de course doit bouger et ne pas rester sur un rail. L’électronique est tellement développée de nos jours que les ingénieurs parviennent à abuser les contrôles. On a déjà connu ça dans le passé. Tout le monde était doté des antipatinages alors qu’ils étaient pourtant censés être interdits par la réglementation. Procéder à un tel changement n’est donc clairement pas une chose aisée. L’électronique n’aide pas, mais il faut pourtant s’y résoudre pour le bien de la discipline.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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