Exilé avec succès depuis plusieurs années en GT, Anthony Beltoise va retrouver le temps d’un week-end riche en émotion l’univers de son premier amour la monoplace. Un peu plus d’un an après la disparition de son père Jean-Pierre, le fils aîné de l’ancien pilote de Formule 1 a décidé de lui rendre hommage en pilotant ce week-end l’inoubliable Matra MS120B à l’occasion de la 10ème édition du Grand Prix de Monaco Historique.
Anthony, vous allez honorer la mémoire de votre père Jean-Pierre ce week-end en conduisant dans les rues de Monaco sa Matra MS120B de 1971. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Beaucoup de choses. C’est un hommage que nous lui rendons. Rouler à Monaco, le seul Grand Prix qu’il a remporté en 1972, représente déjà quelque chose de très fort émotionnellement. Mais le faire dans une Matra est encore plus spécial. Matra a été pour lui ses plus belles années dans sa carrière en Formule 1. J’ai de mon côté la chance de bien connaître le circuit de Monaco puisque j’ai déjà roulé à quatre reprises ici. J’y ai couru en F3, deux années en Clio V6 et également une autre fois en Porsche Supercup.
Quand on a un père vainqueur à Monaco en F1 et que l’on est soi-même pilote, rêve-t-on d’apposer son nom au palmarès de cette course mythique même s’il ne s’agit que du Grand Prix Historique ?
Monaco n’est clairement pas un circuit comme les autres. On rêve tous de le gagner un jour avec une F1. Mais cette année, je ne suis pas là pour remporter la course ou signer un grand résultat. Je participe à ce Grand Prix Historique uniquement afin de montrer les couleurs de Jean-Pierre Beltoise. Je me suis d’ailleurs fait fabriquer un casque qui reprend son design de l’époque. Une autre raison m’a également poussé à m’inscrire cette année. Je veux faire entendre au public ce qui est très certainement le plus beau son que la F1 ait jamais connu. Le moteur V12 Matra.
Vous avez l’occasion d’effectuer quelques tours au volant de cette voiture sur le circuit du Luc dans le Var. Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai trouvé la MS120B assez seine finalement. Je n’ai pas trop attaqué puisqu’il s’agissant avant tout d’un rodage. Mais j’ai quand même pu prendre 11 000 tours avec le moteur. Les sensations sont absolument fabuleuses. Quant au son du moteur, il est juste incroyable ! J’ai hâte de l’entendre entre les immeubles dans les rues de Monaco. Cela va résonner et casser les oreilles à pas mal de gens (Grand sourire) dans le bon sens du terme bien évidemment. Je suis convaincu que le public va apprécier.
« Mon père ne voulait pas que je fasse du sport auto »
En tant que fils d’un grand nom du sport automobile français étiez-vous prédestinés à vous diriger vers une carrière de pilote ?
Non, ce n’était pas forcément une évidence. On a certes baigné dedans depuis tout petit avec mon frère. On adorait ça, cela nous faisait rêver. On était son principal supporter. Ma mère étant la sœur de François Cevert, on a, il est vrai, été piqué dans chaque bras. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’on allait devenir bon derrière un volant. Ce n’est pas parce que vous êtes le fils de Beltoise ou le neveu de Cevert que vous êtes forcément un cador. J’ai malheureusement commencé la course très tard. Mon père ne voulait pas que je fasse du sport automobile. J’ai dû attendre d’avoir mon bac et quelques années études derrière moi avant de pouvoir débuter en compétition. J’ai commencé à 21 ans en m’inscrivant au volant Elf. Ma carrière est partie de là.
Avez-vous longtemps souffert du refus de votre père ou l’avez-vous finalement compris compte-tenu des drames vécus par votre famille notamment avec la disparition de François ?
Sa décision a effectivement été très dure à vivre pour moi au début. Mais aujourd’hui avec le recul je l’en remercie. Il y a beaucoup d’appelés et finalement très peu d’élus dans le sport automobile. Rares sont les personnes à pouvoir se targuer d’avoir réellement percé dans ce métier. De mon côté, je ne peux pas affirmer que j’ai réussi en tant que pilote professionnel. Cependant si l’on se réfère à mon palmarès, j’ai quasiment remporté une victoire dans toutes les compétitions auxquelles j’ai participé. Et j’en suis pleinement satisfait.
Monaco demeure encore aujourd’hui un juge de paix pour les pilotes dans le sens où l’on n’a pas le droit à l’erreur ici. Est-ce un tracé plus difficile à aborder que les autres ?
Oui, sans aucun doute. C’est d’ailleurs ce qui me rend un petit peu anxieux et stressé. Découvrir la voiture sur un circuit aussi impitoyable ne me facilite clairement pas la tâche. Je ne vais pas dire que c’est un tracé dangereux, car il n’est pas plus périlleux qu’un autre. Cependant, il est vrai que la moindre erreur se paye cash ici puisqu’on termine automatiquement dans le rail. On abime la voiture et on perd du temps. Cela va être difficile de se lâcher dans les rues de Monaco.
« Les pilotes de l’époque prenaient énormément de risques »
Lorsque vous êtes montés pour la première fois dans la Matra ne vous-êtes vous pas demandés comment votre père pouvait-il rouler là-dedans ?
Oui, c’est sûr que quand on voit les voitures et notamment la Matra cela paraît complètement fou au niveau de la sécurité. On se demande encore comment il faisait pour rouler à 250 km/h dans les rues de Monaco sans aucune protection dans la voiture. Les pilotes de l’époque prenaient énormément de risques par rapport à ceux d’aujourd’hui. Les pilotes actuels exercent toujours un métier dangereux, mais ils savent qu’ils s’en sortiront bien souvent sans le moindre bobo. Cela vaut aussi pour le rallye. Dans les années 70, un pilote de F1 avait pleinement conscience qu’il pouvait vraiment se faire mal à la moindre erreur. Le sport automobile était extrêmement dangereux ce qui explique que de nombreux pilotes ont disparu à cette époque-là.
Votre père a d’autant plus de mérite qu’il pilotait avec un coude gauche complètement bloqué depuis son terrible accident à Reims en 1964 …
Complètement. C’est ce qui m’a tout de suite sauté à l’esprit quand j’ai pris la décision de rouler avec l’une de ses autos dans les rues de Monaco. Je me demande encore aujourd’hui comment il pouvait conduire une Formule 1 dans les rues si étroites de la Principauté avec un seul bras valide finalement. Son bras gauche était complètement bloqué. Il servait juste à maintenir le volant le temps de changer un rapport. Mais sinon tout se faisait d’une main. Peu de gens le savent, mais je crois que c’est l’une des raisons qui explique pourquoi il était autant respecté dans le milieu.
Que retenez-vous après toutes ces années de son succès héroïque sous le déluge lors du Grand Prix de Monaco 1972 ?
Je n’en garde aucun souvenir d’enfant, car je n’avais que six mois à cette époque. Je sais qu’il était très content de le gagner ce Grand Prix. C’est ce qu’il me disait souvent. Il a beaucoup manqué de réussite pendant sa carrière de pilote de Formule 1. Il pouvait être critiqué de temps en temps. II m’expliquait souvent que le fait d’avoir remporté le Grand Prix de Monaco, peut-être le plus prestigieux de tous, a fait fermé la bouche à beaucoup de gens.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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