Reconverti commissaire-pilote auprès de la FIA depuis 2010, Emanuele Pirro suit toujours avec attention l’évolution de la Formule 1. Si celui qui officiait en tant que marshal lors du dernier Grand Prix de Hongrie juge certaines critiques des fans trop sévères, l’homme aux 37 Grand Prix aimerait que les courses redeviennent plus sélectives. Bien que satisfait du spectacle proposé cette année, l’ancien pilote Dallara appelle la catégorie reine à retrouver ses fondamentaux.
Emmanuele, on a le sentiment que les fans se détournent de plus en plus de la Formule 1. L’an dernier à Monza, des supporters avaient brandi une banderole dans la tribune centrale du circuit sur laquelle était écrit : « voitures horribles, circuits horribles, moteurs sans son : la F1 est morte ». En tant qu’ancien pilote, sentez-vous une cassure auprès des passionnés ?
Je pense honnêtement que le championnat 2015 est très intéressant. Les gens ont tendance à se montrer trop critique et pas uniquement au niveau du sport automobile. On est habitué aujourd’hui à recevoir les informations de manière rapide et à les juger tout aussi vite. C’est une chose négative parce qu’il faut un peu réfléchir avant de critiquer. Beaucoup de personnes ont condamné la saison dernière les nouveaux propulseurs avant l’Australie sans n’avoir jamais entendu le bruit de ces moteurs. Il est beaucoup plus facile de critiquer que d’émettre des commentaires positifs. Je ne dis pas que la Formule 1 actuelle soit la meilleure que l’on puisse avoir, mais si on pense aux règlements antérieurs, les moteurs ont constamment changé. On a connu toutes les configurations de moteur possible dans l’histoire et je ne pense pas que ces changements furent négatifs pour autant.
Le look pour le moins disgracieux des F1 modernes n’explique-t-il pas en partie le désamour du public ?
Les voitures ne sont clairement pas jolies à regarder. Les personnes construisent un règlement à partir d’un bon sentiment afin de limiter les possibilités offertes aux ingénieurs, d’augmenter la sécurité et de limiter les frais. Les ingénieurs cherchent ensuite les solutions les plus efficaces, mais pas forcément les plus esthétiques parce qu’ils se moquent qu’une voiture soit jolie ou pas. Encore une fois, il est facile de critiquer, mais proposer une solution alternative et intelligente est nettement plus compliquée. L’une des saisons les plus importantes de l’histoire de la Formule 1 est le championnat 1988 quand le duo Prost-Senna a remporté 15 courses sur 16. Et l’an dernier on a critiqué la même chose ! Peut être que dans quelques années, quand on se remémorera la saison 2014, on se dira qu’il s’agissait d’une saison diabolique avec des courses spectaculaires et beaucoup de changements. Je ne prétends pas que la F1 actuelle est parfaite. Toutefois, on doit se montrer moins critique et apprécier le spectacle qui nous est offert avec enthousiasme.
« À mon époque, une erreur coûtait nettement plus cher. Au minium, on cassait la voiture ou on abandonnait alors que dans le pire des cas on pouvait se blesser. Je ne souhaite pas revenir à une manière de courir plus dangereuse, mais j’aimerais retourner à des courses qui ne pardonnent pas l’erreur »
Les circuits modernes sont bien souvent sans âmes et sans saveurs, car tous dessinés par le même architecte en la personne d’Hermann Tilke. La F1 n’aurait-elle pas dû, à l’instar de l’Endurance avec le Mans et de l’IndyCar avec Indianapolis, conserver dans leur forme d’origine quelques un de ses tracés légendaires ?
Je n’ose pas dire que les courses sont plus faciles aujourd’hui, mais il est certain que les circuits pardonnent beaucoup plus. Les tracés en eux-mêmes sont plus faciles. Les courses demeurent compliquées, mais la difficulté est différente. Il n’y a plus de bordure comme à l’époque et cela retire une grande partie du challenge parce que les bordures très hautes à l’intérieur et à l’extérieur imposaient une précision de pilotage nettement plus grande. On ne pouvait pas passer au-delà de ces bordures. Quand la surface est bosselée et pas uniforme cela octroie nettement plus de difficulté au pilote et cela impose un pilotage moins proche des limites physiques de la voiture parce qu’on ne peut pas se permettre d’outrepasser ces limites. Les dégagements extérieurs constituent l’autre problème majeur des circuits modernes. Les pilotes ne craignent plus rien lorsqu’ils sortent. Les tracés actuels sont moins sélectifs et le pilote peut se permettre d’oser plus.
N’est-il pas fâcheux que ceux qui sont considérés comme les meilleurs pilotes du monde ne soient plus pénalisés lors d’une faute à cause de cette omniprésence des run-off en dehors de la piste ?
Ces run-off imposent un pilotage différent. Il est obligatoire d’être beaucoup plus proche des limites parce que les autres s’en approchent aussi plus facilement. À mon époque, une erreur coûtait nettement plus cher. Au minium, on cassait la voiture ou on abandonnait alors que dans le pire des cas on pouvait se blesser. Je ne souhaite pas revenir à une manière de courir plus dangereuse, mais j’aimerais retourner à des courses qui ne pardonnent pas l’erreur. Si un pilote commet une faute il doit au moins le payer au niveau chronométrique. C’est la chose qui me déplaît le plus dans les courses modernes. J’aime participer à des courses historiques et courir sur des circuits américains, aux standards de sécurité nettement moins importants qu’en F1, car ils procurent une émotion incroyable. Le Mans est aussi une course largement plus dangereuse aujourd’hui qu’un Grand Prix de Formule 1 et c’est pour cette raison qu’elle a un tel attrait auprès des pilotes.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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