Frédéric Ferret : « Hamilton a pris un sérieux avantage sur Rosberg » (2/2)

Frédéric Ferret interview
Frédéric Ferret pense que Jules Bianchi laissera la trace d’un grand parti trop tôt.
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Œil du seul quotidien sportif français sur les Grand Prix depuis 2003, Frédéric Ferret garde encore aujourd’hui le même enthousiasme à arpenter un paddock qu’il côtoie depuis plus de dix ans maintenant. S’il affiche à son compteur personnel plus de courses que près la moitié du plateau réuni, le grand reporter n’en demeure pas moins toujours aussi admiratif devant les prouesses réalisées par les pilotes. Indéfectible passionné, le journaliste de l’Équipe décrypte la quatorzième étape de la saison courue le week-end dernier sur le majestueux tracé de Suzuka. De la démonstration de Lewis Hamilton, à la nouvelle défaite de Nico Rosberg en passant par l’interminable feuilleton Renault ou les déclarations fracassantes de Fernando Alonso : le responsable de la rubrique F1 dissèque en exclusivité pour Warm-up F1 tous les évènements marquants de ce rendez-vous japonais.

Renault a annoncé lundi la signature d’une lettre d’intention de rachat de l’écurie Lotus. Cette affaire va-t-elle enfin se conclure prochainement ? Pourquoi le constructeur français prend-t-il autant de temps à se décider ?

J’aimerais bien vous donner la réponse. Je crois que même chez Renault ils ne le savent pas. Ils veulent racheter. La décision a été prise, mais cela traîne depuis six mois déjà. La première idée de rachat devait être finalisée avant le Grand Prix de Monaco. Renault devait faire une annonce le jeudi ou le vendredi en Principauté. Cela commence donc à dater un peu. La finalisation du financement du rachat représente le premier problème de taille. Renault est une grande entreprise. Elle ne peut pas sortir 300 millions comme cela d’un claquement de doigt. Chaque structure de cette entreprise doit donc mettre la main à la poche pour essayer de ne pas brûler le budget de la future écurie. La complexité du dossier se situe à ce niveau là, car il faut que chacun accepte une petite saignée sur son budget personnel pour permettre à la F1 d’exister.

À quelle autre complication le constructeur français est-il confronté ?

Renault demande à être traité comme les autres grandes écuries historiques que sont Ferrari, Red Bull, Mercedes et McLaren. Ils réclament un chèque à la FOM et à Bernie Ecclestone. Des divergences existent encore sur le montant. Bernie tente forcément de le rendre le plus petit possible tandis que Renault essaye de l’augmenter au maximum. D’après les déclarations d’Ecclestone dimanche à Suzuka, on n’en est plus très loin. Une fois cet accord finalisé, Renault n’aura plus qu’à faire le tour de ses services et obtenir leur aval. Cela ne prendra plus trop longtemps. Il est primordial que cette histoire ne traîne plus trop parce que la voiture 2016 n’a pas encore été commencée à Enstone. S’ils veulent avoir un projet qui tienne la route, surtout maintenant que le calendrier a été réavancé et que la voiture doit être en piste le 22 février, ils n’ont plus une minute à perdre. Le temps presse.

« Verstappen est un petit génie »

Max Verstappen a encore assuré le spectacle en course à quelques jours de fêter son 18ème anniversaire. Le pilote Toro Rosso termine 9ème après s’être élancé depuis la 17ème place sur la grille. Le rookie néerlandais a vraiment quelque chose en plus …

Oui, indéniablement. On l’avait bien vu la semaine précédente à Singapour. Avec un tour de retard, terminer 8ème c’est très fort. Il a certes bénéficié des voitures de sécurité, mais il fallait s’en sortir. Il fallait également tenir tête à son équipier et à son patron. Après, je ne suis par surpris, car ce n’est pas nouveau. Dès le début on a vu qu’il était spécial. Comme Vettel, Verstappen est un petit génie. Alors est-ce qu’il tiendra la courbe d’ascension de Vettel et des autres grands ? On va voir. Franz Tost a l’habitude d’avoir des petits jeunes dans son élevage. Il prétend que Max est capable d’encore mieux.

Fernando Alonso a créé la polémique à Suzuka en comparant le propulseur Honda à « un moteur de GP2 ». Cette critique en pleine course et sur les terres du motoriste japonais marque-t-elle une cassure entre le double champion du monde espagnol et Honda ?

Non, je pense que c’est juste une manière de se faire comprendre. Quand on est un pilote du calibre de Fernando Alonso, on a les moyens de motiver les troupes. Cela ne doit pas être facile de stimuler des motoristes japonais qui ne parlent pas un mot d’anglais. Si ce n’est de leur crier dessus dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Là au moins il leur fait passer un message. Les Japonais ont un sens de l’honneur tellement développé que ce genre de remarque les touche droit au cœur. Le grand patron de Honda était venu assister au Grand Prix en Autriche. Ron Dennis et Alonso ont cherché en vain à le rencontrer. Yasuhisa Arai les avait empêchés de le voir pour éviter de subir le courroux. Le message de Fernando Alonso est clair : « donnez moi un moteur plus performant ou peut-être je m’en irais ».

« Alonso a le sang chaud »

Alonso est-il allé trop loin selon-vous ou était-ce justifié compte de tenu de la situation épouvantable dans laquelle se trouve McLaren ?

Quand on voit les temps au tour, quand on voit ce qu’il vit depuis le début de la saison, non cela ne me paraît pas choquant qu’un pilote du calibre de Fernando Alonso fasse ce genre de chose. Si Verstappen avait tenu de tels propos, j’aurais dit oui cela ne se fait pas, c’est un manque d’éducation. On règle ses affaires en famille. Max est un petit jeune qui débute. Mais Fernando Alonso ce n’est pas le premier moteur qu’il conduit. On sait ce qu’il a réussi avec Ferrari à une époque où le Scuderia ne marchait pas si bien que cela. Il les a quand même quasiment menés au titre mondial avec des voitures qui n’en n’avaient pas le niveau. Il suffit de regarder ce qu’en ont fait ses équipiers entre 2010 et 2014 pour s’en convaincre. Ainsi, cela ne me choque absolument pas que Fernando ait agi de la sorte à Suzuka.

Peut-on envisager un départ du « Taureau des Asturies » dès la fin de cette saison ?

Alonso est Espagnol, il a le sang chaud et on l’a déjà vu opérer ce genre de choix chez McLaren justement quand il est parti à la fin de la saison 2007. Il a également quitté Ferrari de manière un peu abrupte l’an dernier. Donc oui c’est possible, mais je ne le souhaite pas parce que cela signifierait que l’on verrait partir l’un des plus grands champions de sa génération. J’aimerais bien qu’il puisse se battre au moins encore une fois pour un titre mondial si ce n’est en gagner un. Un départ de McLaren reste toutefois une possibilité. Ce n’est pas la plus grande, mais elle demeure envisageable.

« La virtual safety-car ne m’a absolument pas convaincu »

Jules Bianchi se tuait sur ce circuit de Suzuka il y a tout juste un an. Quelle empreinte le pilote français aura-t-il laissé en Formule 1 ?

Jules laissera un souvenir à tous les pilotes qui l’ont côtoyé de Fernando Alonso double champion du monde jusqu’à Jean-Eric Vergne qui hélas n’est plus en Formule 1. Du plus grand au plus petit pas un seul de ses congénères ne l’oubliera. Dans le paddock, c’est la même chose. Jules était à la fois un excellent pilote et un garçon d’une humanité assez rare. Il était d’une gentillesse incroyable quand il était en dehors de sa voiture et d’une sauvagerie tout aussi incroyable quand il était en piste. Allez demander à Kamui Kobayashi quand il se fait dépasser par lui l’an dernier à la Rascasse. Jules laissera la trace d’un grand parti trop tôt et dont on n’aura pas vu le talent.

Les mesures adoptées depuis son accident, notamment la Virtual Safety Car, vous ont-elles convaincu ?

Non, la virtual safety-car ne m’a absolument pas convaincu. D’ailleurs à chaque fois qu’ils la mettent en place, cela se termine souvent par une vraie sortie de la safety-car. Maintenant, je ne suis pas pilote et je ne sais pas quoi proposer d’autre pour faire mieux. La Formule 1 reste un sport dangereux. C’est marqué sur le règlement de la FIA, sur les pass de toutes les personnes qui viennent dans le paddock et sur tous les tickets des spectateurs. Courir en piste demeurera dangereux quoiqu’il arrive. Si on veut vivre avec 0 % de mort alors à ce moment là il faut interdire ce sport parce que sinon cela n’en sera plus un. On doit essayer de limiter au maximum les risques, mais sans pour autant totalement dénaturer cette discipline.

Propos recueillis par Andrea Noviello

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