Laurent-Frédéric Bollée : « Vettel est bien un pilote d’exception » (1/2)

Laurent-Frédéric Bollée
Laurent-Frédéric Bollée considère toujours Daniel Ricciardo comme le boss chez Red Bull.
Facebooktwitter

Scénariste de renom dans l’univers de la bande-dessinée, Laurent-Frédéric Bollée peut également s’enorgueillir d’avoir contribué à la croissance de Motors TV. Commentateur de la « Télévision Grande Vitesse » depuis le lancement de la chaîne en 2000, l’ancien journaliste de France 2 a conservé une passion intacte pour la catégorie reine du sport automobile. Toujours aussi percutant dans ses débriefings d’après course, le chroniqueur de RMC analyse la treizième manche de la saison disputée en nocturne sur le tracé de Singapour. De l’impériale victoire de Sebastian Vettel au fiasco Mercedes en passant par le show Verstappen ou le départ de Romain Grosjean chez Haas Racing : le rédacteur en chef de Motors TV décortique en exclusivité pour Warm-up F1 tous les événements marquants d’un week-end singapourien riche en surprises.

Sebastian Vettel décroche à Singapour la 42ème victoire de sa carrière et dépasse l’immense Ayrton Senna au palmarès. L’Allemand a dominé ce week-end de la tête et des épaules comme lors de ses plus belles heures chez Red Bull. Ce succès magistral de « baby-schumi » va-t-il enfin lui offrir le crédit qu’il mérite ?

Une sorte de léger doute subsiste par rapport à Sebastian Vettel. Comme si le fait d’avoir remporté quatre titres consécutifs avec Red Bull était un peu exceptionnel dans la mesure où cette équipe dominait, qu’il était un jeune pilote et que quelque part il n’avait pas encore acquis de véritables lettres de noblesses. C’est effectivement ce que l’on entend parfois sur Sebastian. Mais je considère, au contraire, que devenir quatre fois champion du monde à 25 ans est une performance extraordinaire. Vettel est déjà un champion hors-norme qui restera à tout jamais dans l’histoire de son sport. Sa performance à Singapour rajoute simplement une pierre à son édifice. On se rend compte qu’il arrive chez Ferrari cette année et qu’il a déjà trois succès dans la poche. On aurait même tendance à penser que ce qu’il accomplit cette première année chez Ferrari, Schumacher ne l’avait pas fait en son temps lors de son arrivée chez les rouges. Cela démontre encore une fois que Vettel est bien un pilote d’exception. Si on faisait la fine bouche après quatre couronnes mondiales, là on ne peut clairement plus douter de son talent. Je crois qu’il a prouvé beaucoup de choses à Singapour.

Ce troisième succès de la saison replace le pilote de la Scuderia à huit longueurs de Rosberg au classement pilote. Si le titre semble hors de portée pour le natif d’Heppenheim, la deuxième place est clairement accessible compte tenu de la saison moyenne de son compatriote. Croyez-vous Vettel capable de terminer vice-champion cette saison ?

J’ai le sentiment que de nombreux observateurs espèrent une fin de saison un peu moins prévisible que prévu. On a l’impression que la fin de l’année approche à grand pas, mais en réalité il reste six Grand Prix à disputer, soit un gros tiers de saison à couvrir. Cela change évidemment beaucoup de choses au niveau comptable. De nombreux points doivent encore être distribués. Si Ferrari a effectivement trouvé un petit truc qui lui permette carrément d’aller se mesurer aux Mercedes à armes égales, alors on peut s’attendre à une fin de championnat très animée. La domination de Mercedes est tellement manifeste depuis un an et demi que l’on a quand même du mal à imaginer que Ferrari ait pu combler un tel déficit dans un laps de temps aussi court. Leur démonstration de Singapour a été incroyable, c’est indéniable. Si Ferrari continue sur cette lancée et parvient à battre les Mercedes à Suzuka sur un circuit rapide très différent de Singapour, là oui ce sera un message très fort. Autant j’aurais du mal à croire que l’on puisse revenir sur Hamilton tant il a bien capitalisé depuis le début de l’année, autant j’aurais tendance à penser que la deuxième place de Rosberg serait en grand danger. Et en valeur pure, Vettel sera devant Nico.

« Ricciardo apporte une valeur ajoutée »

Après plusieurs courses passées dans l’ombre de son coéquipier Kvyat, Daniel Ricciardo a retrouvé la lumière à Singapour. Cette belle deuxième place permettra-t-elle à l’Australien de reprendre l’ascendant sur son coéquipier dans le giron Red Bull ?

Kvyat a certes bien scoré ces derniers temps et prend de plus en plus sa place. Il est capable de signer d’excellents résultats. Et quelque part, je n’en doutais pas. Daniil arrive à maturité dans cette équipe Red Bull comme ce fut le cas en fin de saison dernière chez Toro Rosso. Il n’a pas été promu chez Red Bull par hasard. Cependant, je considère toujours Ricciardo comme le leader de l’équipe. Il ne faut pas occulter que Ricciardo a assuré le spectacle en Hongrie il y a seulement trois Grand Prix de cela. D’accord c’était un petit peu tout fou à Budapest, mais on voit bien que dès que les conditions sont réunies pour se mêler à la bataille Mercedes-Ferrari il répond présent. Globalement, Ricciardo est celui des deux qui parvient le plus à se hisser au niveau des meilleurs. Même si Kvyat réussit de temps en temps à le bousculer ou à profiter des situations pour le devancer, c’est quand même Ricciardo qui tient la baraque. Ce Grand Prix de Singapour nous a montré qu’il pouvait être le troisième homme. Daniel apporte indubitablement une valeur ajoutée, car il est capable d’aller un petit peu au-delà de la valeur de son équipe. Comme par hasard, c’est lui qui était entre Vettel et les deux Mercedes. Sa performance à Singapour fut remarquable.

Mercedes a vécu un week-end cauchemardesque à Marina Bay si l’on considère ses performances depuis deux ans. L’abandon de Lewis Hamilton, le manque de rythme affiché par les deux machines et l’inexplicable dégradation des gommes arrière sont-ils de nature à semer le trouble dans l’esprit de l’écurie championne en titre ?

C’est sûr que lorsque l’on est habitué depuis plus d’un an à triompher et à dominer tout le monde, la claque prise à Singapour doit quand même faire grincer des dents en interne. À partir du moment où vous dominez n’importe quel échec, qu’il soit grand ou petit, est évidemment mal vécu. Forcément quand Mercedes n’aligne pas les victoires cela fait parler parce que c’est vécu comme un échec. Il est évident que l’on doit commencer à se poser des questions dans l’écurie. Mais au-delà de la défaite, parce qu’ils ont déjà connu des revers cette année, c’est surtout la manière qui interpelle. Le problème mécanique qui frappe Hamilton n’est pas totalement une surprise. Avec 19 Grand Prix au calendrier, on peut clairement se douter qu’à un moment donné un souci mécanique va survenir. Hamilton a connu un problème à Singapour, c’est malheureux mais cela devait lui arriver dans l’année. En revanche voir ce même Hamilton à plus d’1,4 seconde du poleman en qualification et Rosberg à 25 secondes de Vettel à l’arrivée alors que la course a été neutralisée deux fois, clairement on ne s’y attendait pas. On nous aurait annoncé ça après Monza, honnêtement personne ne l’aurait cru, moi le premier.

« Les Mercedes n’étaient nulle part »

Comment expliquez-vous cette brutale chute des performances des flèches d’argent ?

On ne pouvait vraiment pas imaginer qu’Hamilton serait à 1,5 secondes aux essais, qu’il abandonnerait et que Rosberg terminerait à 25 secondes de Vettel à la régulière. Il s’est donc passé quelque chose. Alors est-ce la nature même du tracé de Singapour qui explique les difficultés des Mercedes cette année ? J’ai du mal à le croire, parce qu’elles étaient devant à Monaco et je ne vois pas pourquoi soudainement elles s’écrouleraient. Les fortes températures sont-elles en cause dans ce cas ? Peut-être, mais c’est pareil pour toute le monde. Les pneus doivent-ils être incriminés dans le fiasco de Mercedes ? C’est peut-être le seul critère où on est en droit de s’interroger. On sait bien qu’il y a eu une sorte de bisbille à l’arrivée de Monza. La pression des pneumatiques Mercedes avait été pointée du doigt. Je ne prétends pas qu’ils ont triché ou que leurs pressions étaient anormales. Je constate simplement que depuis 15 jours on parle beaucoup des pneus chez Mercedes. Et manifestement quelque chose ne va pas. On verra à l’avenir si leurs difficultés se confirment ou s’ils reviennent au sommet. Mais il existe aujourd’hui une suspicion de problème qui pourrait bien affecter Mercedes dans une plus grande proportion que ce à quoi l’on pouvait s’attendre.

La firme à l’étoile avait outrageusement dominé le dernier Grand Prix d’Italie. Ne trouvez-vous pas bizarre que cette subite chute de performance intervienne juste après l’épisode de Monza et pile au moment où l’équipe allemande est tout proche d’égaler deux des records les plus symboliques de l’histoire ?

Oui, c’est vrai que cette défaillance survient pile au mauvais moment pour Mercedes. Ce rendez-vous de Singapour était très important d’un point de vue historico-statistique puisqu’Hamilton pouvait égaler le record de poles consécutives sur une saison et Mercedes celui de Williams au nombre de poles successives. Sans occulter le fait qu’Hamilton, et ça c’était assez amusant, pouvait également égaler le nombre de victoires d’Ayrton Senna avec le même nombre de Grand Prix (161). Cela aurait été une belle histoire. Alors sans verser dans la parano, on sait quand même que ce sport est fait de problèmes qui surgissent ou de règlementation qu’il faut respecter. Certains essayent de temps à autre d’aller au-delà et de contourner ces règles. Le seul élément sorti du lot lors des victoires enchaînées par Mercedes cette année fut cette curieuse histoire de pression des pneus à l’arrivée de Monza. Pour ce qui est des problèmes de pression et de la façon dont cela a pu influer sur leur performance, je ne possède absolument pas les compétences pour en déduire quelque chose. Seulement, 15 jours après cet épisode les Mercedes n’étaient nulle part et se sont fait allègrement dominer. On est donc obligé de se poser la question. De nouvelles mesures sont mises en place et comme par hasard cela marche moins bien. Il semblerait donc qu’il y ait bien un rapport de cause à effet.

Propos recueillis par Andrea Noviello

Facebooktwitter

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*