Témoin privilégié de la carrière d’Ayrton Senna, Lionel Froissart ne s’est jamais éloigné d’une discipline qu’il côtoie depuis maintenant plus de 30 ans. S’il ne se gêne pas pour dénoncer les dérives de la Formule 1 moderne, l’ancien journaliste de Libération a conservé son indéfectible passion pour la catégorie reine du sport automobile. Écrivain de renom, le fondateur du blog Bord de pistes se penche sur la 10ème épreuve de la saison en Hongrie. De la victoire surprise de Sebastian Vettel au retour en forme des Red Bull en passant par les bourdes des pilotes Mercedes et le tragique décès de Jules Bianchi : le chroniqueur du magazine Autosport revient en exclusivité pour Warm-up F1 sur tous les moments forts d’un week-end hongrois riche en émotions.
Lionel, le monde de la Formule 1 a été marqué le 17 juillet dernier par la disparition de Jules Bianchi. Avez-vous été choqué par son décès ?
On s’y attendait malheureusement. En étant réaliste, on ne se faisait pas beaucoup d’illusions depuis le dimanche 5 octobre au soir. On savait que sa situation était irréversible même si cela ne se dit pas pendant cette période. On se doutait qu’à un moment ou un autre l’issue serait fatale. Je crois que sa disparition a profondément marqué les pilotes, car cette jeune génération n’a jamais été confrontée à la mort d’un de leur contemporain. Son décès est d’autant plus traumatisant qu’il survient après une longue période où les voitures n’ont cessé de progresser au niveau de la sécurité. Je voudrais toutefois rappeler, car personne n’en a parlé, que Maria de Villota est pratiquement morte dans les mêmes conditions, même si elle n’a pas connu un coma semblable à celui de Jules. Elle a tapé à peu près de la même manière au niveau de la tête. Jules n’est donc pas le seul pilote mort dans une F1 ces dernières années bien que son accident soit survenu dans le cadre d’un Grand Prix et pas en essais privé comme de Villota.
Bianchi était promis à un brillant avenir en Formule 1. Quelle image garderez-vous de lui ?
Tout a été dit sur Jules. Sa mort est terriblement triste parce que Jules avait un bel avenir devant lui. C’était un super gars et un très bon pilote. Je ne dis pas que c’était un futur champion du monde parce qu’on s’est aussi un petit peu enflammé à ce niveau là. C’est sûr que dans une bonne voiture il aurait réalisé de belles choses. Il méritait d’évoluer dans une bonne écurie. Maintenant, en faire après sa disparition un champion du monde ou le plus grand pilote français à venir, on ne sait pas. C’était indéniablement un très bon pilote. Et c’était surtout un mec formidable. Au-delà du pilote, l’être humain était vraiment génial. Jules était sympa et d’une simplicité incroyable. C’est important de le souligner.
« Ferrari rejoue le rôle de Red Bull l’an dernier »
L’enquête diligentée par la FIA a rapidement dédouané la direction de course de toute responsabilité dans l’accident de Jules. Pensez-vous que les coupables seront sanctionnés un jour ?
Non, les coupables ne seront jamais punis pour la simple et bonne raison que la FIA considère avoir fait ce qu’elle avait à faire. La pire sanction a malheureusement concerné Jules. Il est toujours facile après coup de trouver des solutions et de se dire on aurait pu faire ça ou on n’aurait pas dû faire ça. Une chose est certaine, cette grue constituait un danger. Mais le truc le plus évident est que Sutil est sorti dans ce virage à cause de l’aquaplaning. Or, l’aquaplaning ce n’est pas une faute de pilotage. C’est un effet naturel et physique sur lequel le pilote ne peut pas lutter. Si Sutil s’est fait piéger à cet endroit-là, on pouvait légitimement imaginer que cela puisse arriver à un autre pilote. La faute de la FIA est de posséder des outils hyper pointus, une grosse expérience et de ne pas prendre les bonnes décisions. La réaction adéquate aurait été de neutraliser le Grand Prix afin de protéger les pilotes de cette grue. Car sans cet engin, Jules tape la Sauber, abîme les deux voitures, mais tout le monde va bien.
Sebastian Vettel remporte à Budapest une course complètement folle et rejoint avec 41 succès Ayrton Senna au palmarès. Cette victoire complètement inattendue intervient-elle au meilleur moment pour une Scuderia Ferrari un peu sur le déclin depuis trois courses ?
Une victoire est toujours la bienvenue. Ferrari rejoue un peu le rôle de Red Bull l’an dernier. Dès que Mercedes fait une connerie, la Scuderia est là pour en profiter. Vettel, à l’instar de Ricciardo la saison dernière, saisit la moindre opportunité qui lui est offerte. C’est ce qui fait la force d’un champion. On était aux anges il y a quelque temps quand Alonso réalisait une superbe saison et jouait le titre avec Vettel sur une Red Bull intouchable. En 2014, Ricciardo tenait ce rôle là quand les Mercedes merdaient ou rencontraient des problèmes techniques. Cette année c’est au tour de Vettel. Mais cela ne signifie pas que Ferrari va faire le match avec les flèches d’argent jusqu’à la fin de la saison. J’ai même peur que les voitures italiennes souffrent beaucoup dans les prochaines courses. Ferrari sera pas mal à Spa. À Monza, il y a toujours une sorte de miracle, mais pour le reste cela s’annonce compliqué.
« Räikkönen n’a plus la même gnac »
Vettel est revenu à 42 points du leader Hamilton après ce deuxième succès de la saison. Ne croyez-vous pas l’Allemand capable de rééditer l’exploit de Räikkönen en 2007 et de coiffer le titre aux deux pilotes Mercedes lors de la dernière course ?
Non, pas du tout. Je ne serais pas contre, car j’aime bien Vettel. Je suis ravi de le voir gagner. S’il bat encore les Mercedes quelque fois je serais content du moment qu’Hamilton est champion à la fin tout va bien. (Rires) Sur le plan arithmétique, Vettel peut encore prétendre au titre mondial, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions. Il faudrait que les pilotes Mercedes s’accrochent presque à chaque course pour que ça puisse marcher. Ferrari a certes un bon moteur, mais on a quand même l’impression qu’ils tâtonnent beaucoup dans les autres domaines. Ils amènent des évolutions, un coup elles fonctionnent, un coup non. L’écurie ne respire pas la grande sérénité et ne progresse pas de manière évidente à chaque course. Mercedes reste dominatrice et devrait le rester sur tous les terrains au moins en qualification. En regardant objectivement, si les Mercedes s’élancent devant en course on ne les revoit plus. Les Williams ou les Ferrari ont évidemment un truc à jouer lorsqu’elles partent en tête, mais imaginons que le même scénario se reproduise à Spa. Je suis à peu près sûr qu’aux Combes l’une des deux Ferrari se fait dépasser et qu’au tour suivant les deux Mercedes ont pris le commandement.
Kimi Räikkönen a de nouveau été frappé par la malchance en course alors qu’il a longtemps occupé une très solide deuxième place. Son sort est-il déjà scellé chez Ferrari ?
Je ne comprends pas grand-chose à ce que fait Ferrari avec ses pilotes ou tout du moins avec son deuxième pilote. Je pense que Räikkönen est un peu usé. Cela reste un très bon pilote, il ne faut pas se leurrer. Sa dernière saison extraordinaire remonte avec Lotus il y a trois ans. Il a eu quelques problèmes techniques, quelques pépins cette saison, mais au-delà de ça il se fait quand même dominer par Vettel. Le mot est peut être fort parce que cela se joue à quelques dixièmes, cependant quelques dixièmes par tour cela finit par se traduire en secondes à la fin d’un Grand Prix. Tout en sachant toujours aussi bien conduire, Kimi n’a plus la même gnac, la même envie. S’il n’est plus un super pilote de qualification ou de développement, bien que les pilotes ne développent plus grand-chose aujourd’hui, il reste un formidable pilote de course. J’aurai tendance à dire que ce ne serait pas une mauvaise chose qu’il laisse sa place parce que ça fait longtemps qu’il est là et c’est toujours sympa de voir de nouvelles têtes dans une grande équipe. Après, si c’est pour mettre Bottas bof. En revanche, si c’est pour faire la place à un pilote qui me paraît plus prometteur pourquoi pas.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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