Solide dauphin de Max Verstappen au championnat pilotes, Charles Leclerc aborde son rendez-vous à domicile avec l’ambition de retrouver de sa superbe dans l’exercice si périlleux des qualifications.
Son début de campagne 2024 est d’une régularité métronomique. Jamais classé au-delà de la quatrième place en course, Charles Leclerc a escaladé quatre podiums en sept Grand Prix disputés cette saison et surtout amassé 113 unités dans sa besace ce qui fait du Monégasque le premier rival du quasi-intouchable Max Verstappen (161 points. Ndlr) au championnat pilotes. En phase ascendante après une petite période de creux lors des escales australes et nippones, le leader de la Scuderia Ferrari aborde son rendez-vous à domicile avec le plein d’ambition, mais aussi avec une légitime prudence lui qui n’a plus remporté la moindre victoire en catégorie reine du sport automobile depuis le mois de juillet 2022 en Autriche. Plutôt satisfait par les améliorations apportées le week-end dernier à Imola sur sa rutilante SF-24, l’enfant prodige de la Principauté entend poursuivre sur sa lancée dans ses rues natales tout un soignant un exercice des qualifications dans lequel il n’a pas toujours réussi à briller cette saison.
Avant votre rendez-vous à domicile ce week-end, vous pointez à la deuxième place du championnat pilotes avec un total de 113 points récoltés en sept courses. Peut-on parler d’un premier tier de saison satisfaisant ?
Compte tenu de notre saison dernière, on ne pouvait clairement pas s’attendre à être premier du championnat. Il faut, aussi, se montrer réaliste. On sait que l’on a beaucoup progressé, mais qu’il nous reste encore pas mal de boulot à accomplir. McLaren est très forte depuis les deux derniers Grand Prix et ça, on ne s’y attendait pas forcément. De notre côté on est satisfait, car on a fait les pas en avant auxquels on s’attendait. On doit, cependant, attendre quelques courses encore avant de juger complètement les améliorations que l’on a apporté sur la voiture à Imola. Monaco ne sera certainement pas le meilleur tracé pour jauger les effets de ces nouveautés. Une chose est sûre toutefois : bien utiliser ces nouvelles pièces et optimiser le package sera primordial, car aujourd’hui McLaren, Red Bull et nous sommes très proches en course. On est un petit peu derrière eux en qualification et il va donc falloir que l’on travaille sur ce point. Si je regarde la première partie de saison d’une manière globale, je pense que l’on a maximisé le potentiel de la voiture. Il faut, maintenant, que l’on fasse en sorte que ce potentiel soit assez bon pour aller chercher des victoires.
Vous évoquiez à l’instant les nouvelles pièces introduites par Ferrari sur la SF-24 le week-end dernier à Imola. Quelles sont, justement, vos premières impressions sur ces évolutions ?
Imola, Monaco et Montréal ne sont, malheureusement, pas des pistes faciles pour juger l’effet des améliorations apportées. Monaco est un circuit très spécifique et ce sont avant tout les réglages qui font la différence. Il est donc difficile d’évaluer quoique ce soit sur un tracé aussi particulier. À Imola comme au Canada, la façon dont la voiture est capable de grimper sur les vibreurs fait une énorme différence. Savoir bien négocier les vibreurs compte plus qu’un nouveau package aérodynamique. En revanche, et c’est le côté positif, on a pu se rendre compte avec toutes les datas dont on dispose aujourd’hui en Formule 1 que les chiffres observés sur la piste correspondaient à ceux que l’on attendait au niveau aérodynamique. Cela signifie qu’il n’y a pas de mauvaises surprises et que l’évolution correspond à nos attentes. Et ça, c’est toujours bon signe.
Le patron de la Scuderia Ferrari, Frédéric Vasseur, a récemment exhorté ses équipes à accentuer encore davantage la pression sur Red Bull pour les obliger à commettre des erreurs. De quelle manière comptez-vous les pousser à la faute ce week-end dans les rues de Monaco ?
Le moyen le plus facile à Monaco où, comme on le sait, la qualification est très importante c’est encore de partir devant. Monaco c’est la qualification de l’année ! Pour nous pilote, c’est non seulement la plus incroyable, mais également la plus excitante. Si on part derrière en course, cela devient tout de suite plus compliqué parce qu’il n’y a bas énormément d’opportunités de dépassements ici. On leur mettra la pression en restant le plus proche et le plus compétitif possible le vendredi comme le samedi jusqu’à la séance qualificative. Il faut les contraindre à tout mettre absolument dans l’ordre pour décrocher la pole position. On fera en sorte de tout bien réussir de notre côté. Il va falloir se montrer parfait pour les placer dans une situation où ils ne pourront pas se permettre de commettre la moindre erreur. L’an dernier, ce n’était pas le cas. Ils avaient une telle avance sur nous qu’ils pouvaient même se permettre d’effectuer un arrêt supplémentaire au stand et de gagner la course malgré tout. Quand on se retrouve dans une telle situation, tout le monde est beaucoup plus à l’aise que ce soit le pilote ou le team. On n’a pas forcément besoin d’aller chercher la limite. On a vu à Imola qu’il était plus difficile de tout mettre dans l’ordre quand on est sous pression. On va donc essayer de continuer à les embêter pendant le reste de la saison.
« Monaco est, forcément, un Grand Prix très spécial pour moi, car je cours à la maison. Ce serait incroyable de gagner ici ! Mais pour ce qui est du podium, une deuxième ou une troisième place ne me rendra pas particulièrement heureux dimanche »
Lorsque vous avez découvert le Grand Prix de Monaco au volant d’une Formule 1 en 2018, auriez-vous pu imaginer qu’il vous faille attendre au moins six ans avant de peut-être envisager un podium à domicile ?
En 2018, cela ne m’aurait pas forcément choqué dans le sens où je n’avais, alors, aucune idée de comment ma carrière allait évoluer. J’ignorais, à ce moment-là, que j’allais devenir un pilote Ferrari en 2019. Il faut, aussi, avoir un peu de chance ou de réussite. Maintenant, ce podium n’est et n’a jamais été une fixation en soi. Monaco est, forcément, un Grand Prix très spécial pour moi, car je cours à la maison. Ce serait incroyable de gagner ici ! Mais pour ce qui est du podium, une deuxième ou une troisième place ne me rendra pas particulièrement heureux dimanche. La victoire, j’y pense sans que cela m’obsède pour autant. Je me concentre davantage sur le « process » pour faire en sorte que le travail effectué pendant le week-end soit le meilleur possible. On a, notamment, pas mal de boulot avec mon nouvel ingénieur de piste pour franchir un autre palier depuis notre première course ensemble à Imola. Johannes (Hatz. Ndlr) a, en outre, pris la place de Bryan (Bozzi. Ndlr) au poste d’ingénieur de performance. Deux personnes de mon entourage sont donc dans de nouvelles positions et il est important de se concentrer là-dessus. Je suis convaincu que si le boulot est bien fait, la victoire peut être jouable à la fin du week-end. Mais avant d’y penser, il faut se concentrer sur le « process ».
Ces dernières saisons, la Ferrari avait tendance à se montrer plus à l’aise en qualification qu’en course. La donne a quelque peu changé cette année puisque si vous avez clairement franchi un cap en termes de gestion des pneus et de rythme de course, vous avez un petit peu perdu de performance dans l’exercice du tour chronométré. Pour espérer bien figurer ce week-end à Monaco, ne faudra-t-il pas en quelque sorte renier les qualités de l’actuelle SF-24 et mettre davantage l’accent sur sa performance pure en qualification ?
Complètement. On va disputer la FP1, la FP2 et la FP3 avec un seul objectif en tête : la préparation de la qualification. Celle de la course arrive vraiment au second plan ici pour la simple et bonne raison que si on part premier à Monaco tout devient toujours beaucoup plus facile ensuite. Il va falloir se concentrer en priorité sur la qualification. Depuis le début de l’année, on a un petit peu plus de mal dans cet exercice. Normalement, c’est notre point fort. Par rapport aux saisons précédentes on est un peu plus en souffrance le samedi après-midi, mais d’un autre côté on a vraiment franchi un palier en course. L’an dernier, c’était vraiment un point faible. Il y avait une énorme différence entre la qualification et la course. On était souvent la deuxième voiture la plus rapide du plateau dans l’exercice du tour chronométré. Mais en course, on reculait à la troisième voir la quatrième place de la hiérarchie. Cela rendait les choses nettement plus compliquées. Cette année, on est beaucoup plus proche des meilleurs donc c’est positif. Cependant, on doit continuer de travailler et de gagner du temps, car Red Bull reste devant surtout en course. L’important c’est que l’on a réalisé de beaux progrès et que l’on a surtout compris dans quelle direction il fallait fournir nos efforts à l’avenir pour améliorer la performance de l’auto le dimanche.
Depuis 2022 et l’arrivée de la nouvelle réglementation technique, Max Verstappen a remporté 39 des 51 Grand Prix disputés sur cette période. N’est-ce pas trop frustrant de prendre le départ d’une course tout en sachant que le nom du vainqueur est quasiment déjà connu à l’avance ?
Plus que Max (Verstappen. Ndlr), je pense que c’est surtout Red Bull qu’il va falloir essayer d’aller chercher le dimanche. Ils sont prenables le samedi, mais pas totalement le dimanche où ils réussissent à faire quelque chose que l’on n’arrive pas bien à comprendre avec les pneus. Sur la longueur d’une course, ils sont encore plus forts que nous. On était très proche d’eux à Imola, mais ce n’était pas suffisant. Sur d’autres circuits, ils étaient vraiment loin devant. Il faut donc que l’on fasse ce « step » en course et que l’on trouve ce qu’ils parviennent à faire avec les gommes. Max est, en outre, très constant. Maintenant et pour répondre à votre question, on n’aborde pas un week-end de course en se disant que la deuxième place est le meilleur résultat possible. On arrive sur chaque Grand Prix avec la mentalité de gagner. Tout le team bosse dur pour essayer de comprendre ce que Red Bull réalise en course. On veut les rattraper le plus rapidement possible. Une fois que l’on aura franchi ce cap au niveau de la dégradation des pneus, on pourra alors se battre beaucoup plus régulièrement pour la première place.
« Si on regarde les deux dernières occasions (Singapour 2023 et Australie 2024. Ndlr) qui se sont offertes à nous, je n’ai effectivement pas su répondre présent ces week-ends-là. J’ai été un peu moins bon, donc je dois tâcher d’être là la prochaine fois »
Malgré une avance confortable tant au championnat pilotes que constructeurs, Red Bull semble un tout petit peu moins dominatrice cette saison. Pourquoi l’écurie autrichienne paraît-elle plus prenable en 2024 que l’année dernière ?
La Formule 1 a connu un grand changement réglementaire en 2022. Et comme on l’a souvent vu dans le passé, il est important de démarrer une nouvelle ère technique du bon pied. On n’était pas trop mal au départ, mais de son côté Red Bull accusait un surpoids de 15 ou de 17 kilos à l’entame du championnat 2022. Une fois qu’ils ont réussi à se débarrasser de cette surcharge pondérale, ils sont automatiquement devenus beaucoup plus rapides que nous. Et depuis, on essaye de les rattraper ! On y parvient plutôt bien d’ailleurs puisque petit à petit l’écart se resserre. Il existe une réelle opportunité jusqu’en 2026, car pendant quatre ans la réglementation ne change pas. Tout le monde travaille ce qui favorise forcément un nivellement des performances. Red Bull arrive sur un plateau de développement tandis que McLaren et nous sommes encore un petit peu en phase ascendante. J’espère ne pas me tromper, mais 2025 sera sûrement la saison la plus serrée au niveau performance entre les tops teams. Cette saison 2024 n’en reste pas moins une vraie opportunité, car n’oublions pas que nous en sommes seulement à la septième course. Le championnat est encore long. Les évolutions vont, non seulement, être très importantes, mais elles risquent également de faire une grande différence. Il était primordial pour nous d’essayer de marquer le plus de points possibles lors de ce premier tiers de saison, car on s’attendait à avoir un peu plus de mal. On va, désormais, se concentrer sur la suite du championnat et sur les améliorations apportées récemment pour tenter d’aller chercher les Red Bull.
Ferrari n’a remporté que deux petites victoires lors des quinze derniers mois de compétition : Singapour 2023 et Australie 2024. Voir votre coéquipier Carlos Sainz tirer les marrons du feu lors de deux seules opportunités qui se sont présentées à la Scuderia n’a-t-il pas été trop difficile à encaisser ?
Sur le moment, cela fait mal bien sûr parce que seule la victoire m’intéresse en fin de compte. Les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes places ne m’excitent pas particulièrement à vrai dire. Je veux absolument la victoire ! Or depuis l’Autriche 2022, je n’ai malheureusement pas réussi à en obtenir une seule. Après, il faut aussi faire les comptes à la fin de la saison, car c’est à ce moment-là qu’il est important de vraiment répondre présent. Maintenant, quand il y a une victoire à la clé et qu’en tant que pilote on n’a pas réalisé le meilleur travail possible comme ce fut le cas en Australie cette année ou à Singapour la saison dernière, forcément on le vit plus mal qu’un Grand Prix lambda dans lequel on termine troisième ou quatrième. Ce n’est clairement pas facile à digérer, mais la meilleure réponse que je puisse apporter est de me concentrer sur moi-même et d’essayer de produire le meilleur travail possible. Je dois, également, m’assurer d’être là quand une prochaine opportunité se présentera. Si on regarde les deux dernières occasions qui se sont offertes à nous, je n’ai effectivement pas su répondre présent ces week-ends-là. J’ai été un peu moins bon, donc je dois tâcher d’être là la prochaine fois.
L’an prochain, vous ferez équipe avec Lewis Hamilton chez Ferrari. L’arrivée du septuple champion du monde à Maranello constituera-t-elle une étape marquante dans votre carrière ?
Bien sûr. Chaque changement de coéquipier représente un moment déterminant dans la carrière d’un pilote pour la simple et bonne raison que le voisin de garage reste la première référence à l’intérieur d’une écurie. C’est, d’ailleurs, ce que j’aime avec la Formule 1 : avoir l’opportunité de se battre contre les meilleurs. Carlos (Sainz. Ndlr) est aujourd’hui l’un des meilleurs pilotes de la grille. Seb (Vettel. Ndlr) était un multiple champion quand j’ai couru à ses côtés et j’ai beaucoup appris de lui. Lewis (Hamilton. Ndlr) est le pilote qui détient le plus grand nombre de succès de l’histoire de ce sport. J’ai donc hâte de l’avoir à mes côtés dans l’équipe. Avec tout le succès qu’il a eu, toutes les bonnes choses qu’il a pu réaliser, je pourrai forcément apprendre beaucoup de lui. Mais comme toujours, l’objectif sera clairement de le battre.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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