René Arnoux : « À l’époque l’électronique c’était votre cerveau »

GRAND PRIX HISTORIQUE MONACO 2021
René Arnoux regrette que la Formule 1 moderne soit devenue davantage une affaire d'ingénieur que de pilote.
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De retour derrière le volant d’une Formule 1 à l’occasion de la douzième édition du Grand Prix de Monaco Historique, l’ex-pilote Renault juge avec sévérité l’évolution de la discipline reine du sport automobile.

Sa dernière apparition officielle en terre princière remontait au dimanche 7 mai 1989. Trois décennies après avoir ponctué sa onzième sortie monégasque d’une anonyme douzième place et d’une mini polémique (beaucoup de ses congénères, dont Alain Prost, lui ont reproché de ne pas respecter les drapeaux bleus en course. Ndlr), René Arnoux était de retour sur le mythique toboggan de la Principauté l’an dernier à l’occasion de la douzième édition du Grand Prix de Monaco Historique. Venu partager sa passion de la course avec les amoureux d’automobile, l’Isérois a retrouvé deux jours et demi durant ses vieux réflexes de pilote au volant de l’inoubliable Ferrari 312 B3-74 de Niki Lauda. Tête d’affiche d’une Série E (voitures de Grand Prix F1 3L de 1973 à 1976. Ndlr) dans laquelle officiait également Marco Werner (triple vainqueur aux 24 Heures du Mans en 2005, 2006 et 2007. Ndlr), Jean-Denis Delétraz (ex-pilote Larrousse et Pacific en F1. Ndlr) ou encore son compatriote Jean Alesi (201 Grand Prix de F1 en carrière. Ndlr), l’ex-pilote Renault n’a toutefois pas pu défendre ses chances bien longtemps, une sortie de piste lors des qualifications du samedi mettant prématurément fin à son week-end de course (l’écurie allemande Méthusalem Racing n’ayant pas la possibilité d’effectuer de réparation sur place faute de pièces de rechange disponibles. Ndlr). Ravi, bien que légèrement frustré, de sa courte expérience monégasque, l’homme aux sept victoires en catégorie reine (il compte également 18 pole positions, 12 meilleurs tours en course et 22 podiums à son tableau de chasse. Ndlr) ne goûte en revanche que très peu à l’évolution d’un sport qui, jadis, fit de lui l’un des principaux chouchous du public français. Et il ne se gêne pas pour le faire savoir.

Avant cette douzième édition, vous n’aviez jamais pris part au Grand Prix de Monaco Historique. Quel regard portez-vous sur cette épreuve maintenant que vous l’avez disputé ?

C’est un très bel événement. On peut voir rouler des voitures extraordinaires. Alors bien sûr le Covid fait qu’il y a moins de monde qu’en temps normal, mais parmi les personnes que j’ai pu croiser beaucoup d’entre elles m’ont dit : « René, on a enfin retrouvé le beau bruit de la Formule 1 ». Qu’on le veuille ou non, le bruit fait partie intégrante de la F1. Les voitures actuelles sont, hélas, complètement aseptisées. Elles sont bourrées d’électronique alors qu’à l’époque l’électronique c’était votre cerveau ! Vous n’aviez pas toutes ces boîtes autour de vous pour vous aider. Seul votre cerveau commandait la voiture.

Ne regrettez-vous pas justement que les F1 modernes soient devenues à ce point dépendantes de l’électronique ?

Oh que oui ! Je vais même vous dire une chose, mais cet avis ne regarde que moi. La Formule 1 n’est plus un championnat du monde des pilotes. C’est devenu un championnat du monde des constructeurs, de l’ingénierie et des stratégies de course. Alors bien sûr il y a toujours de bons pilotes, car sans ça vous ne gagnez pas de course. Mais je vais vous poser une question : pourquoi Hamilton gagne-t-il ? Tout simplement parce qu’il dispose de la meilleure voiture.

Hamilton a, quand même, prouvé à de très nombreuses reprises qu’il savait aussi gagner dans des circonstances difficiles …

Oui il conduit très bien, mais prenez l’exemple de Verstappen. L’an dernier (comprendre en 2020. Ndlr) il obtenait de bons résultats, mais il terminait presque toujours derrière Hamilton. Cette année (comprendre en 2021. Ndlr), Red Bull a progressé sur le plan technologique et subitement Verstappen a pu se battre avec les Mercedes. Sans ce gain de performance, jamais Verstappen n’aurait pu rivaliser avec Hamilton. Le résultat d’un pilote est aujourd’hui directement lié à la voiture dans laquelle il est assis. En termes de pourcentage, l’importance de la machine dans le résultat a même encore augmenté par rapport à celle du pilote.

« J’aimerais bien voir des courses où cela se bagarre réellement et où l’on ne change pas de pneus quatre fois par Grand Prix. C’est franchement ridicule ! Si on n’arrive même plus à couvrir 300 kilomètres avec un train de pneus, alors cela signifie que l’on a vraiment régressé »  

Dans une interview donnée il y a de cela quatre ans, Alessandro Caffi déclarait que la Formule 1 n’était plus le même sport qu’autrefois. Partagez-vous son analyse ?

Complètement. Ce n’est plus le sport que j’ai connu. Beaucoup de choses sont gérées par l’électronique aujourd’hui. Quand un pilote n’arrive plus à régler l’électronique via le volant, il appelle aussitôt au secours à son box pour demander ce qu’il doit faire. Il faudrait peut-être supprimer toutes ces liaisons radios entre le pilote et son équipe parce que franchement appeler sa maman pour dire : « que dois-je faire ? », je trouve ça complètement stupide ! Les règlements sont, malheureusement, écrits comme ça. Les gens de la F1 savent, aussi, très bien les exploiter.

La Formule 1 n’a-t-elle, à ce titre, pas trop laissé faire les équipes qui pendant des années ont dépensé des sommes pharamineuses pour tenter de grappiller un dixième ou deux ?

Les constructeurs investissent des sommes astronomiques parce qu’il y a également un championnat par équipe derrière. Mais cela déstabilise beaucoup la F1. Je ne prétends pas vouloir changer la Formule 1 moderne, car je n’ai pas cette capacité. Cependant, j’aimerais bien voir des courses où cela se bagarre réellement et où l’on ne change pas de pneus quatre fois par Grand Prix. C’est franchement ridicule ! Si on n’arrive même plus à couvrir 300 kilomètres avec un train de pneus, alors cela signifie que l’on a vraiment régressé et pas du tout progressé.

À l’inverse de la F1, la Moto GP a su conserver ce côté humain dans le sens où encore aujourd’hui c’est avant tout le pilote qui fait la différence et non la machine. La catégorie reine du sport automobile ne ferait-elle pas mieux de s’en inspirer ?

Probablement. Je dis toujours une chose : les pilotes de F1 sont des courageux, mais les pilotes moto sont limite fous. Aujourd’hui, je regarde beaucoup plus la moto que la F1. Si je suis trois Grand Prix de Formule 1 dans l’année c’est déjà beau. En revanche, j’essaye de voir tous les Grand Prix moto car le spectacle proposé est réellement intéressant. Ils se bagarrent tout le temps ! La victoire se joue bien souvent dans le dernier tour un peu comme à l’époque où je courais. Quand je rencontre des passionnés, ils me posent toujours la même question : « alors René, tu regardes la F1 ? ». Je leurs réponds : « non, je regarde la moto. » Et ils me disent : « moi aussi ! ». C’est bien la preuve que la Formule 1 commence à s’essouffler.

« De nos jours si vous ne vous élancez pas depuis la première ou la deuxième ligne de la grille, vous pouvez immédiatement oublier la course. Vous n’avez aucune chance de la remporter. Quel dommage … On a privé les spectateurs de tout ce qui faisait le charme de la F1 »  

Alain Prost a l’habitude de dire qu’il ne se passe pas un jour sans qu’on ne lui parle d’Ayrton Senna. Il en va un peu de même pour vous puisque votre duel d’anthologie avec Gilles Villeneuve à Dijon en 1979 est instantanément remémoré dès lors qu’on évoque le nom du Canadien. Êtes-vous fiers de susciter, 42 ans après les faits, toujours autant d’éloges et de commentaires pour ce duel resté à tout jamais gravé dans les mémoires ?

Je suis content que l’on parle toujours de moi et de ce duel Villeneuve-Arnoux (sourire). Gilles était mon meilleur copain, je l’adorais. D’un côté, cela me fait vraiment plaisir que l’on se souvienne encore de cette bataille, mais d’un autre côté cela me pousse à m’interroger. Plus de quarante années se sont écoulées depuis cette course de Dijon et pourtant les gens m’en parlent tout le temps ! Pas plus tard que ce week-end (entretien réalisé le 24 avril 2021. Ndlr), des personnes sont venues et me voir et m’ont dit : « quel duel avec Villeneuve etc… ». Alors je vous pose la question : quand reverra-t-on ça en F1 ? Jamais ! Maintenant, ils mettent des stop and go à tout va. Et s’ils font ça, ils les mettent en prison. On ne reverra plus jamais un tel duel en piste et cela démontre bien que la Formule 1 est épuisée. Certes elle ne l’est pas sur le plan technique, car elle est bourrée de technologie. Mais sur le plan du spectacle la F1 est réellement épuisée.

Que doit faire la F1 pour redevenir celle qu’elle a été ?

Il ne reste qu’à espérer que les règlements changent à l’avenir. Je vais prendre un exemple. Quand je partais en troisième ligne, je n’étais pas vraiment inquiet. Je pouvais gagner le Grand Prix. De nos jours si vous ne vous élancez pas depuis la première ou la deuxième ligne de la grille, vous pouvez immédiatement oublier la course. Vous n’avez aucune chance de la remporter. Quel dommage … On a privé les spectateurs de tout ce qui faisait le charme de la F1 : de vraies bagarres sur la piste. Aujourd’hui, on s’applique : « alors lui il est rentré en premier. L’autre fait deux tours très rapides et après il change les pneus pour ressortir devant … Olala ! ». Mettez tout simplement des trains de pneus ! À la rigueur changez de train une fois à mi-course, mais cessez de changer perpétuellement. Cela fatigue tout le monde.

Revenons sur Dijon 1979 et ce duel de folie avec Gilles Villeneuve dans les derniers tours de course. Beaucoup de vos camarades de jeu vous ont, après coup, reproché d’avoir été trop loin ce jour-là. Comment l’avez-vous vécu à l’époque ?

Plutôt bien (sourire) ! On est passé en commission de discipline devant cinq pilotes dont je tairai les noms. Ils nous ont sermonné : « ce que vous avez fait à Dijon était extrêmement dangereux ! Vous auriez pu décoller et terminer dans le public. Vous êtes fous, irresponsables etc… ». L’un d’entre eux a, alors, demandé à Gilles ce qu’il en pensait. Fidèle à lui-même, Gilles a répondu : « si c’était à refaire, je referais exactement la même chose ! ». À ce moment-là, plus personne n’a parlé. Puis, ils se sont tournés vers moi : « et toi René ? ». J’ai dit au porte-parole : « si le duel avait été entre toi et moi, j’aurais terminé deuxième et non troisième pour la simple et bonne raison qu’il n’y aurait pas eu de duel. » Cela a clôt le débat et on s’est barré. On a ensuite bien rigolé (sourire). Avec Gilles, on rigolait tout le temps sauf lorsque l’on était assis dans les voitures.

Propos recueillis par Andrea Noviello

René Arnoux Monaco 2021
Arnoux assure qu’on ne reverra pas de sitôt un duel semblable à celui qui l’a opposé à Villeneuve.
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