Grabiele Tarquini : « J’ai eu la chance de vivre l’ère Senna » (2/2)

Gabriele Tarquini Sportel Monaco
Gabriele Tarquini regrette que la course à la sécurité ait complètement défiguré les circuits de F1.
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Pilote essayeur de Hyundai en TCR, Gabriele Tarquini continue de suivre avec passion l’évolution de la Formule 1. Si le Transalpin affirme prendre plus de plaisir que jamais au volant des voitures de tourisme, il s’estime toutefois chanceux d’avoir connu l’âge d’or de la catégorie reine du sport automobile.

Dans le milieu de la course on le surnomme l’inoxydable. À 55 ans, Gabriele Tarquini n’a toujours pas (totalement) renoncé à revêtir son costume de pilote. Essayeur pour le compte de Hyundai en TCR, l’Italien a également supplanté avec mérite son ami Tiago Monteiro à l’occasion de la manche chinoise du WTCC. Finalement déchu de ses belles quatrièmes et cinquièmes places en raison d’une rampe d’injection non conforme sur sa Honda Civic, « Cinghio » a toutefois prouvé que le poids des ans n’avait aucune influence sur ses performances. Passionné comme lors de ses plus jeunes années en karting, le champion 1994 du BTCC a également conservé une affection toute particulière pour une discipline, la Formule 1, qui ne lui aura pourtant pas apporté la reconnaissance qu’il en attendait. Frustré par l’aseptisation des tracés modernes et par le manque de fermeté de la FIA sur les manœuvres défensives dangereuses, l’ancien pilote AGS n’échangerait pour rien au monde l’époque où il se contentait de jouer le rôle de figurant face aux Prost, Mansell, Piquet et autres Senna.

Après les accidents mortels de Senna et Ratzenberger à Imola, la FIA s’est attaquée aux circuits en installant des chicanes dans les courbes rapides et en élargissant les zones de dégagement. Cette course à la sécurité ne s’est toutefois jamais arrêtée au point de totalement dénaturer les circuits de F1. L’instance dirigeante n’est-elle pas allée trop loin en rendant les tracés aussi insipides ?

Les circuits du passé généraient très certainement plus de disparité entre les pilotes. Ils étaient déjà beaucoup plus dangereux. Les run-off n’existaient pas à l’époque. Aujourd’hui, on en trouve partout : derrière les vibreurs, entre les vibreurs et les murs ou même à l’intérieur d’un virage. L’asphalte étant omniprésente, les pilotes peuvent désormais se permettre une erreur et sortir au-delà des vibreurs. À notre époque, quand on partait à la faute, on en payait directement le prix parce qu’on restait tanqué dans le sable. Les tracés sont indubitablement plus sûrs aujourd’hui, mais on les a aussi quelque peu défigurés. Ils ne sont pas devenus plus faciles pour autant. En revanche, les circuits sont clairement moins sélectifs qu’autrefois. Le pilote ne peut pas se démarquer autant que dans le passé. Il existe heureusement encore quelques beaux circuits en F1. Cependant, tous ces nouveaux tracés ne suscitent pas une grande émotion.

Certaines pistes mythiques comme Spa ou Suzuka ont beaucoup perdu de leur charme avec la démocratisation des zones de dégagements asphaltées. L’instance dirigeante ne devrait-elle pas opérer un retour en arrière dans ce domaine ?

Je ne suis pas forcément d’accord pour Suzuka, mais Spa n’est clairement plus le même tracé qu’autrefois. Le raidillon de l’Eau Rouge a par exemple profondément évolué en vingt ans. Aujourd’hui, tous les pilotes le passe à fond sans problème. Ce n’est plus un virage. De mon temps, ce n’était pas comme ça. L’Eau Rouge était vraiment une courbe tortueuse où l’on devait braquer à deux reprises au moins. Les vibreurs sur lesquels les pilotes s’appuient allégrement aujourd’hui n’existaient pas. On n’avait également pas d’asphalte au-dessus du Raidillon pour se rattraper. Quand on commettait une erreur à cet endroit-là, généralement on tapait fort. Ce virage a été le théâtre de très nombreux accidents graves.

L’autorité régulatrice se montre étonnement clémente quand Kevin Magnussen ou Carlos Sainz se fendent de manœuvres défensives particulièrement grossières. En revanche, elle n’hésite pas à distribuer des pénalités à tour de bras pour des actions anodines. Ce manque de cohérence ne risque-t-il pas à force de totalement désorienter les pilotes ?

Les règles régissant l’engagement d’un pilote en piste ont toujours été très étranges en Formule 1. À mon époque, on ne disposait pas d’un collège de commissaires comme aujourd’hui. Seul le directeur de course avait le pouvoir de décision. Le respect qu’entretenait chaque pilote dictait généralement la conduite de chacun. Si je faisais quelque chose de mal, je savais très bien qu’en retour le pilote que j’avais rudoyé me le ferait payer plus tard en me rendant la monnaie de ma pièce. Les incidents du passé entre Alboreto, Mansell, Prost, Senna en sont d’ailleurs la plus belle illustration. En ce temps-là, il existait un code tacite sur la façon de se comporter en piste. Celui qui bafouait ce code, pouvait en payer le prix par la perte d’un titre de champion. Dans ce domaine, Senna était de loin le pilote le plus habile.

« Quand tu choisis une ligne, tu dois t’y tenir et la garder. Se décaler en plein freinage est extrêmement périlleux, car si j’ai choisi de me jeter à l’intérieur au prochain freinage et que le pilote devant moi change brusquement de trajectoire, je n’ai aucune porte de secours pour éviter le contact. C’est l’accident assuré »

Comment Senna parvenait-il à créer un consensus autour de sa personne ?

Il entretenait de relations avec tout le monde de manière à s’assurer qu’aucun pilote ne puisse lui faire une crasse en course. Je connaissais Ayrton depuis l’époque du karting. Il passait du temps à nouer une relation avec tous les pilotes du plateau dont moi, car il savait pertinemment qu’il aurait à me doubler au moins deux ou trois fois en course. Je pouvais donc représenter un danger pour lui. Les commissaires brandissaient aussi les drapeaux bleus à l’époque, mais ils n’obligeaient pas les pilotes à s’effacer comme aujourd’hui. Il s’agissait plus d’un avertissement que d’une réelle incitation à s’écarter devant les leaders. De nos jours si un pilote n’obtempère pas rapidement, il écope automatiquement vingt secondes de pénalité de la part des commissaires de course.

À votre époque les retardataires étaient libres de disputer leur course sans avoir à constamment surveiller leurs rétroviseurs …

Complètement. Les retardataires prenaient leur propre trajectoire et disputaient leur course sans se soucier des hommes de tête derrière eux. Les leaders devaient se débrouiller pour doubler. On n’avait pas besoin de ralentir et de s’écarter. Je représentais donc soit un désavantage soit un grand avantage pour un pilote comme Ayrton. Senna savait très bien qu’entretenir de bons rapports avec moi pouvait signifier un avantage de deux, trois ou quatre secondes sur un dépassement. Ce qui équivaut à remporter ou à perdre une course simplement parce que je me déportais plus rapidement qu’un autre retardataire. Ayrton prenait donc soin d’entretenir de bons rapports avec tout le plateau, même les pilotes les moins en vue, car il avait parfaitement conscience que ce facteur pouvait être décisif pour sa course.

La F1 ne ferait-elle pas mieux de totalement bannir ces changements de ligne en phase défensive afin d’éviter des gestes aussi inconséquents ?

Bouger sur une zone de freinage est la chose la plus dangereuse qui soit. La réglementation l’interdit en théorie. Quand tu choisis une ligne, tu dois t’y tenir et la garder. Se décaler en plein freinage est extrêmement périlleux, car si j’ai choisi de me jeter à l’intérieur au prochain freinage et que le pilote devant moi change brusquement de trajectoire, je n’ai aucune porte de secours pour éviter le contact. C’est l’accident assuré. Or un crash à des vitesses aussi élevées que sur un freinage peut potentiellement se révéler dramatique.

Propos recueillis par Andrea Noviello

Gabriele Tarquini Belgique 1991
Gabriele Tarquini critique vivement les changements de lignes intempestifs en phase défensive.
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