Emanuele Pirro : « La Formule 1 est en train de vivre un très beau moment »

Pirro stand Monaco 2022
Emanuele Pirro aime comprendre la façon dont se pilote des Formules 1 historiques comme la Shadow DN1.
Facebooktwitter

De retour au volant d’une Formule 1 à l’occasion du treizième Grand Prix de Monaco Historique, Emanuele Pirro revient sur son expérience à bord de la Shadow DN1 de Graham Hill et savoure le renouveau d’un sport qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

Il a retrouvé le cockpit d’une Formule 1 avec l’enthousiasme d’un jeune premier. Retiré du monde de la compétition depuis 2010, Emanuele Pirro est provisoirement sorti de sa retraite le temps d’un court week-end de course en Principauté. Engagé sur le treizième Grand Prix de Monaco Historique à bord d’une Shadow DN1 ex-Graham Hill, le quintuple vainqueur des 24 Heures du Mans (2000, 2001, 2002, 2006 et 2007. Ndlr) a pleinement profité de son retour derrière un volant sans chercher toutefois à flirter avec les limites d’une machine à la préparation guère optimale. Trop heureux de pouvoir de nouveau arpenter les 3,337 km du plus célèbre circuit en ville au monde, l’Italien a remonté le temps avec délectation, savourant chaque instant en compagnie d’autres passionnés de course automobile comme lui. Comblé par trois journées monégasques au cours desquelles il aura avant tout cherché à comprendre ce que ses congénères d’autrefois ont vécu dans les « seventies », le lauréat de l’édition 2010 a accepté de se livrer à Warm-up F1 dans une interview mêlant à la fois passé et présent de la discipline reine du sport automobile.

Lors de votre précédente participation au Grand Prix de Monaco Historique en 2016, vous aviez couru au volant de la mythique Ferrari 312 B3 de Niki Lauda. Rouler à bord de l’ex-Shadow DN1 du grand Graham Hill cette année vous a-t-il procuré autant d’émotion ?

L’aspect émotionnel était un peu différent avec la Ferrari de Lauda parce que je suis Italien et que j’ai vraiment commencé à rêver de Formule 1 à cette période-là (1974. Ndlr). La 312 B3 a réellement été la voiture de mes rêves. Donc je dirais que cette Ferrari a été encore plus spéciale à piloter.

Avant de vous rendre en Principauté, aviez-vous pu prendre un petit peu en main cette Shadow DN1 de 1973 ?

Pas vraiment hélas. Cette auto a besoin de mise au point. Bien que ce soit une ancienne voiture, elle n’en demeure pas moins assez « jeune ». Il aurait été mieux de pouvoir faire quelques essais avant de venir courir sur le Grand Prix de Monaco Historique. Cette machine doit être « déverminée » en quelque sorte.

Pour être exploitées dans leur pleine mesure, ces F1 des années 70 nécessitent-elles davantage de mise au point que celles que vous avez piloté pendant votre carrière ?

C’est difficile à dire. Au cours de l’histoire, les choses n’ont jamais cessé de se perfectionner tant sur le plan du pilotage que d’un point de vue mécanique. Vaincre dans les années 70 nécessitait un niveau de perfection inférieur à celui des années 80 ou des années 90. Ce sont des époques différentes, tout simplement. En ce qui concerne la technique de pilotage, ces F1-là devait être pilotée d’une certaine façon en raison de leur plus faible charge aérodynamique. Ce qui me plaît avant tout dans ces machines historiques, c’est de comprendre du mieux possible comment conduire ces autos et chercher à les piloter de cette façon-là.

« Tous les circuits au monde prennent la voie de la facilité, mais cela ne veut pas dire pour autant que gagner est devenu plus facile. Si un circuit est moins dangereux et moins exigeant cela signifie en fin de compte que pour faire la différence sur les autres pilotes, vous devez vous montrer encore plus parfaits qu’eux » 

Dans quelle mesure cette Shadow se distingue-t-elle des Benetton et autres Dallara que vous avez connu pendant votre courte carrière en catégorie reine ?

Elle est très différente. Il n’y a pas tant d’écart que cela entre 1973 et les années pendant lesquelles j’ai couru (1989-1991. Ndlr), mais en termes de comportement de l’auto cela n’a strictement rien à voir. L’appui aérodynamique et la rigidité de la voiture constituent les principales différences avec les F1 de mon époque.

Le circuit de Monaco a, lui aussi, beaucoup évolué depuis votre passage en F1…

C’est vrai. Tous les circuits au monde prennent la voie de la facilité, mais cela ne veut pas dire pour autant que gagner est devenu plus facile. Si un circuit est moins dangereux et moins exigeant cela signifie en fin de compte que pour faire la différence sur les autres pilotes, vous devez vous montrer encore plus parfaits qu’eux. Sur un circuit en ville comme celui de la Targa Florio (Italie. Ndlr) ou d’autres tracés des années 50-60, le pilotage était beaucoup plus approximatif qu’il ne l’est aujourd’hui. On était très loin de la limite du circuit et des autos. Mais si vous aviez un bon niveau, alors vous pouviez gagner. Quand vous devez conduire sur un circuit tout lisse comme ceux actuels où tout est parfait et où les vibreurs sont plats, vous devez quasiment aller à la limite physique de l’auto pour performer. Gagner est donc toujours difficile.

Ne regrettez-vous cependant pas que la F1 et le sport automobile en général aient complètement « castrés » les anciens circuits en enlevant l’herbe et les bacs à graviers des bas-côtés ?

Oui, c’est vraiment dommage. Le monde avance et dans la société actuelle on n’accepte plus un niveau de risque élevé. Cela me déplaît quelque part que les pilotes d’aujourd’hui ne ressentent plus le frisson du risque dans certains virages, le genre de virages dans lesquels si vous commettiez une erreur vous saviez que vous allez au-devant de gros problèmes.

« Dans la vie rien n’est parfait et rien n’est totalement imparfait. J’entends beaucoup de personnes dire que la F1 était beaucoup plus belle par le passé. C’était simplement un mode de conduite différent de celui d’aujourd’hui. Je crois que si quelqu’un pense que le passé est toujours mieux que le présent, alors peut-être que ce quelqu’un a lui-même un problème » 

Avec la généralisation des dégagements asphaltés, les pilotes ne sont plus pénalisés de nos jours quand ils sortent de la piste. Trouvez-vous cela normal ?

C’est l’une des choses qui me plaît le moins dans le sport auto moderne. Dans le passé, on distinguait justement la qualité d’un pilote par sa capacité à s’approcher le plus possible de la limite sans jamais la dépasser. Cette faculté était primordiale pour réussir au plus haut niveau. Aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas malheureusement, car vous pouvez sortir de la piste. Alors peut-être que vous serez sanctionnés par les commissaires de course, mais ce n’est même pas certain. Cela signifie, toutefois, que vous devez piloter encore plus proche de la limite.

Quel regard portez-vous sur cette Formule 1 contemporaine ?

Elle me plaît. J’aime toujours la F1. On ne peut pas comparer la Formule 1 d’hier et celle d’aujourd’hui. Comme on ne peut pas comparer la F1 de mon époque à celle de Fangio, de Clark ou de Stewart. Il faut simplement savoir apprécier les bonnes choses quand elles se produisent et je crois que la Formule 1 est en train de vivre un très beau moment. Une chose est certaine, je ne critiquerai jamais mon sport. Dans la vie rien n’est parfait et rien n’est totalement imparfait. J’entends beaucoup de personnes dire que la F1 était beaucoup plus belle par le passé. C’était simplement un mode de conduite différent de celui d’aujourd’hui. Je crois que si quelqu’un pense que le passé est toujours mieux que le présent, alors peut-être que ce quelqu’un a lui-même un problème.

Cette saison 2022 de tous les changements peut-elle être celle de Charles Leclerc ?

Possible, mais ses adversaires sont vraiment très forts. Aujourd’hui, il n’existe que trois pilotes capables de remporter un championnat : Hamilton, Leclerc et Verstappen. L’un des trois (Hamilton. Ndlr) n’a pas les moyens de vaincre pour l’instant ce qui constitue une bonne chose pour les deux autres. C’est un privilège qui ne durera pas éternellement, car tôt ou tard Hamilton et Mercedes redeviendront des postulants à la couronne mondiale. Il faut donc profiter de cette occasion. Le championnat est très long vous savez. C’est d’ailleurs l’une des belles choses de la F1 d’aujourd’hui comme on a pu s’en rendre compte la saison dernière. Les derniers tours de l’ultime course du championnat 2021 ont créé une très grosse polémique. Mais ce fut un très beau championnat. Avoir un sport dans lequel toute une saison se joue dans les dernières minutes de l’ultime course est un magnifique privilège.

« Le problème de Lewis (Hamilton. Ndlr) a été l’incident de Latifi et non la décision prise par la direction de course. Parce qu’une fois que vous vous retrouvez avec un Verstappen derrière vous chaussé de gommes neuves et peu importe que celui-ci ait à doubler ou non des retardataires, il devient impossible de résister à un pilote aussi fort » 

Cette polémique d’Abou Dhabi, parlons-en justement. N’y-a-t-il pas eu trop de confusion dans la prise de décision ?

Plus que de la confusion, je dirais que ce fut la tempête parfaite. Lewis Hamilton a malheureusement été pénalisé par ce coup du sort, mais cela fait partie de la course. Les championnats ne se gagnent pas dans le dernier tour de la dernière course. Remporter un championnat c’est comme construire une maison. Ce n’est pas la dernière brique qui fait une maison. Ce sont, au contraire, l’ensemble des briques posées pour la construire. Le problème de Lewis a été l’incident d’un autre pilote (Nicholas Latifi. Ndlr) qui, de surcroît, s’est produit au pire moment possible pour lui. Il n’avait pas changé de gommes à ce moment-là. Dans ce cas précis, on peut vraiment parler de malchance.

Le septuple champion du monde n’a, lui, pas hésité à employer le mot « manipulé » à l’arrivée pour qualifier ce final très controversé. Pensez-vous comme le Britannique que Michael Masi a faussé le résultat de ce championnat en relançant ce Grand Prix dans les conditions que l’on connait ?

Selon moi, le problème de Lewis a été l’incident de Latifi et non la décision prise par la direction de course. Parce qu’une fois que vous vous retrouvez avec un Verstappen derrière vous chaussé de gommes neuves et peu importe que celui-ci ait à doubler ou non des retardataires, il devient impossible de résister à un pilote aussi fort équipé de pneus neufs qui plus est. Ce qui me déplaît le plus dans cette histoire c’est que l’on a davantage parlé des décisions que des circonstances. Or, le problème ce sont les circonstances et non la décision finale du directeur de course.

Remontons de nouveau le temps pour finir. Lors d’une interview récente, vous avez déclaré que « vous auriez adoré courir en F1 dans les années 60 ». La vie d’un pilote de course n’était-elle pas trop périlleuse à cette époque-là ?

Elle l’était, mais quand quelqu’un décide de commencer à courir il ne pense pas trop au danger. Il ne connaît que la sécurité de son époque. Tous ceux qui ont rêvé de courir et qui ont ensuite eu la possibilité de pouvoir assouvir leur rêve l’ont fait en fin de compte. Alors oui beaucoup de pilotes se sont tués dans les années 60 et même après. Mais les pilotes de ces années-là acceptaient tout simplement le prix à payer.

Propos recueillis par Andrea Noviello

Pirro F1 Shadow Monaco 2022
Emanuele Pirro confie apprécier toujours autant le sport qui fut le sien pendant trois saisons.
Facebooktwitter

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*