Propulsé à la tête de Sauber au cours de l’été 2017, Frédéric Vasseur est parvenu à remettre sur pied en moins d’un an une écurie totalement à la dérive sous la direction de Monisha Kaltenborn. Satisfait des progrès effectués par le team helvétique depuis son arrivée à Hinwil, le directeur général estime toutefois qu’il faudra encore du temps avant de voir les monoplaces suisses définitivement décoller du fond de la grille.
Sa précédente aventure à la tête d’une écurie de Formule 1 chez Renault s’était soldée par une démission à la suite d’une divergence d’opinion dans le management du team tricolore. Frustré de ne pas avoir pu mener à bien son ambitieux projet pour la marque au losange, Frédéric Vasseur n’a pourtant pas dû ronger son frein bien longtemps avant de reprendre la destinée d’une équipe en catégorie reine. Sept mois seulement après son départ d’Enstone, le fondateur de l’écurie ART Grand Prix était déjà intronisé à la tête de la moribonde et souffreteuse équipe Sauber. Depuis, le natif de Draveil a non seulement sorti de l’ornière une équipe passée tout proche de déposer le bilan en 2016, mais a également su redonner le goût de la rigueur et de l’ambition à l’intérieur des ateliers d’Hinwill.
La Fédération Internationale de l’Automobile a entériné le 7 juin dernier la nouvelle réglementation technique pour la saison 2019. Les changements apportés autours de l’aileron-avant et des écopes de freins notamment afin de faciliter les dépassements vont-ils dans le bon sens selon-vous ?
Oui, même s’il ne faut pas être dupe. Dans ce genre d’histoire, tout le monde est focalisé sur son propre intérêt. Avant de procéder à un vote, les teams se demandent seulement si les modifications réglementaires seront bonnes pour eux et pas si elles peuvent être bénéfiques à la F1. On est tous des compétiteurs. Ça, on ne peut pas nous le reprocher ! Si le législateur n’est pas content, il n’a qu’à prendre les décisions lui-même. Si vous questionnez des joueurs de foot sur le droit ou non de tirer de loin, ceux qui frappent fort accepteront automatiquement. Les autres pas forcément.
Les écuries n’auraient-elles toutefois pas intérêt à collaborer afin de rendre le spectacle meilleur et plus attractif pour le public ?
C’est pareil dans tous les sports. On est là pour gagner et uniquement pour gagner. Quand on m’interroge sur ma volonté de changer les règles aérodynamiques, je ne me pose pas la question de savoir si ces changements permettront d’améliorer le spectacle en piste. Je me concentre uniquement sur le fait de connaître les éventuels bénéfices dont pourra en tirer Sauber l’année prochaine. Je suis peut-être le seul à le dire ouvertement ici, mais pas un seul de mes collègues se lève le matin en se demandant : « alors que vais-je voter ? Est-ce bien pour la F1 ou pas ? » Quand on prend une décision, on ne pense qu’à nous (rires).
Les tops teams n’abusent-ils pas de leur position dominante pour influencer sur la décision finale ?
Je ne citerai pas de noms, mais pour une certaine équipe le changement serait une bonne chose. Or, elle se rend compte que son concurrent veut aussi revoir les règles. Les dirigeants se disent : s’ils veulent changer c’est qu’ils ont forcément un intérêt supérieur au mien. Dans ce cas, nous allons voter contre cette modification. On parle d’un comportement complètement lunaire ! C’est tout un jeu de dupes où on essaye de savoir pendant des heures ce que pense l’autre et ce qu’il va entreprendre (éclats de rire). À la fin, ça en devient débile. La décision a été serrée puisque on a eu six voix pour et quatre voix contre. Personnellement, j’étais en faveur de ce changement donc je suis satisfait.
« Sur le papier, on ne figure clairement pas dans le top dix. Cependant, on se doit de devancer nos concurrents directs le jour où une occasion de marquer des points se présente »
Sauber totalise douze points au championnat après seulement sept courses disputées. Quel bilan dressez-vous de votre début de saison ?
Plus que bon. Je suis arrivé sur le tard chez Sauber, il y a de cela huit mois. En quatre courses, on avait déjà inscrit davantage de points que ces deux dernières saisons. On peut donc légitimement parler de pas en avant. Bakou reste une étape importante dans la reconstruction de Sauber. Il est primordial pour nous de se rendre sur une course en sachant que l’on peut y réussir quelque chose de bien. Indépendamment des incidents, je retiens avant tout de Bakou que lors du premier relais, Charles (Leclerc) était capable de se battre avec les Red Bull, les Renault et Räikkönen. Et ça, il ne le doit ni aux accidents ni aux circonstances de course.
Avez-vous fixé un objectif précis à vos troupes dans les Grand Prix à venir ?
Non, on est là pour faire au mieux. Notre objectif, c’est d’être opportuniste. Sur le papier, on ne figure clairement pas dans le top dix. Cependant, on se doit de devancer nos concurrents directs le jour où une occasion de marquer des points se présente. Charles l’a très bien fait à Bakou, à Barcelone ou même à Montréal. Si on regarde les choses d’un peu plus près, on se rend compte qu’historiquement il est très difficile d’inscrire des points pour les deux-trois dernières équipes du championnat. Le taux de fiabilité est incroyablement élevé aujourd’hui. L’occasion de rentrer dans le top dix ne se représentera donc pas tous les week-ends même si on bosse bien et que l’on progresse.
« Même si la taille de l’équipe est archi sous-dimensionnée par rapport aux tops teams, on possède un énorme avantage en termes de motivation et de flexibilité »
Si Charles Leclerc parvient à masquer, en partie tout du moins, les carences de votre monoplace en répétant les exploits en course, la C37 accuse toujours un sérieux déficit de performance par rapport à la concurrence dans l’exercice des qualifications …
Il nous manque effectivement deux bonnes secondes sur un tour chrono. Mais il ne faut pas occulter le fait qu’il y a un an et demi, l’équipe se trouvait en dépôt de bilan virtuel. J’ai intégré Hinwil il y a un peu plus de huit mois. On a d’abord resigné un contrat avec Ferrari puis un autre avec Alfa Romeo. On est dans un processus de reconstruction. Autant un pilote peut progresser très rapidement, de course en course, autant l’inertie pour une équipe s’avère énorme. La progression d’un team passe par des recrutements. En huit mois, on a embauché une centaine de personnes. Quand on souhaite recruter des chefs de départements, on doit forcément s’armer de patience, car ce sont des gens dont les contrats arrivent à terme dans deux ou trois ans. Ils ne peuvent pas démissionner comme ça d’un claquement de doigts.
N’est-ce pas agaçant de s’échiner pendant de longues semaines à tenter de recruter quelqu’un pour ne pouvoir finalement bénéficier de ses talents que plusieurs mois plus tard ?
Les « Head of » doivent généralement respecter six mois de « garden-leave ». Lorsque l’on passe un accord avec l’un d’entre eux, bien souvent on ne peut pas jouir de ses services avant x mois. Si le gars en question nous rejoint dans six mois, cela signifie qu’il va travailler sur la voiture prévue pour dans un an et demi. L’équipe est donc confrontée à une inertie dans sa progression qui n’existe pas dans la tête des pilotes. Eux veulent constamment une voiture meilleure demain qu’hier. Il faut savoir qu’à l’usine, on a déjà dans la soufflerie la voiture qui sera utilisée à Singapour.
Recruter un ingénieur aujourd’hui ne vous serait donc d’aucun secours à court terme ?
Non. Quelqu’un qui nous rejoindrait demain travaillerait sur l’auto de la toute fin de saison. Au mieux. Ce qui nous manque avant tout aujourd’hui c’est du temps et pas seulement au tour (rires). Même si la taille de l’équipe est archi sous-dimensionnée par rapport aux tops teams, on possède un énorme avantage en termes de motivation et de flexibilité. Ces dernières années Force India a réalisé des performances exceptionnelles avec une petite équipe bien rodée. On doit s’inspirer de ce modèle-là à court terme. On est sur la bonne voie aujourd’hui et je pense même qu’on est en avance sur le plan de vol.
Propos recueillis par Andrea Noviello
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