Frédéric Vasseur : « Charles est en train de se construire comme pilote de F1 » (1/2)

Frédéric Vasseur Charles Leclerc Canada
Frédéric Vasseur estime que les attentes autour de Leclerc étaient trop élevées en début de saison.
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Nommé Team Principal de Sauber en remplacement de Monisha Kaltenborn, Frédéric Vasseur profite d’un petit-déjeuner réunissant l’ensemble de la presse monégasque pour évoquer longuement les débuts en Formule 1 de son jeune prodigue Charles Leclerc.

Le rendez-vous est fixé à 9h30 à l’étage supérieur de l’hospitalité Sauber. Grand Prix à domicile oblige, l’écurie helvétique a convié toute la presse monégasque à venir partager un petit-déjeuner en compagnie de son pilote fétiche Charles Leclerc. Impatient d’en découdre dans les rues qui l’ont vu naître, le local de l’étape se prête à l’exercice avec plaisir, échangeant bien volontiers quelques anecdotes avec son patron et complice Frédéric Vasseur également présent pour l’occasion. Désigné comme le successeur de Monisha Kaltenborn au mois de juillet 2017, le Français s’est depuis attelé à reconstruire une équipe totalement à la dérive en y insufflant ses dogmes préférés : le travail, la détermination et l’ambition. Heureux de retrouver un pilote qu’il a longtemps couvé dans les formules de promotion, le co-fondateur du team ART se penche sans faux-semblant sur les principaux traits de caractère du petit prodigue de la Ferrari Driver Academy.

Depuis son arrivée en Formule 1, Charles Leclerc se singularise non seulement par l’honnêteté de ses analyses, mais aussi par son exigence extrême sur la piste et en dehors. En quoi se différencie-t-il de nombreux autres jeunes pilotes que vous avez pu côtoyer dans les formules de promotion ?

Les bons, les personnes qui travaillent très bien, partagent ce trait de caractère dans le sens où ils se remettent constamment en cause. Les déclarations à la presse peuvent un petit peu varier de temps à autre, mais c’est plus pour le côté show-off. Si on se focalise uniquement sur la partie collaboration avec l’équipe, les pilotes performants ou ceux que vous avez coutume d’appeler champions ont ce degré d’exigence extrêmement élevé envers eux-mêmes. Historiquement ce sont toujours les meilleurs pilotes qui m’ont dit : « aujourd’hui j’ai mal conduit ». Je ne l’ai jamais entendu de la part des mauvais (sourire). Pourtant, statistiquement ils doivent plus souvent mal conduire que les bons.

Outre sa faculté à saisir les opportunités en course et à capitaliser ses bonnes performances par des points, qu’apporte au quotidien Leclerc à Sauber ?

Il forme déjà une bonne combinaison avec Marcus qui est un pilote plus expérimenté et doté d’une bonne analyse technique. Disposer d’une référence à l’intérieur de l’équipe, cela aide forcément Charles. Il faut toutefois se méfier des attentes qu’il peut générer. Cet hiver, il a été confronté à énormément d’attentes. Trop certainement. On ne doit pas oublier que la marche entre la F2 et la F1 est très importante. Les résultats du début de saison ont généré une certaine déception chez les gens, car ils ne comprenaient pas pourquoi cela marchait moins bien. Charles est aujourd’hui en train de se construire comme pilote de F1. Il commence seulement à assimiler les règles de ce milieu.

« Charles a un peu été trimbalé comme ça au gré du vent en début de saison. Je l’ai trouvé très fort après les deux-trois premières courses où les choses furent plus compliquées que ce qu’il et surtout l’extérieur imaginaient. Il ne s’est pas désuni »

Cette déception que vous évoquez ne s’explique-t-elle pas par une certaine méconnaissance du milieu de la F1 de la part du grand public ?

Certainement. On n’est pas à plaindre attention, mais on évolue dans un milieu où tout est amplifié aujourd’hui. Dès qu’une personne dit une chose de bien, tout le monde s’engouffre. À l’inverse, dès qu’une critique est émise au sujet de quelqu’un, tout le monde s’y engouffre aussi. D’ailleurs, Charles a un peu été trimbalé comme ça au gré du vent en début de saison. Je l’ai trouvé très fort après les deux-trois premières courses où les choses furent plus compliquées que ce qu’il et surtout l’extérieur imaginaient. Il ne s’est pas désuni. Après, il faut bien comprendre que ces deux-trois courses là sont quelque part exceptionnelles. Il ne va pas terminer sixième tous les dimanches.

Avez-vous dû un petit peu tempérer Leclerc après son exploit de Bakou ?

Je dois effectivement gérer ce paramètre vis-à-vis de Charles. Franchir la ligne d’arrivée en douzième ou treizième position ne constitue pas forcément une contre-performance pour moi. Cela dépend des circonstances de course et du type de circuit arpenté. La caractéristique de notre voiture aujourd’hui est de générer peu de charge aérodynamique. On s’attendait donc à souffrir sur les tracés très demandeurs en appuis à l’instar de Barcelone ou de Monaco.  D’où ma surprise non pas tant de le voir terminer dixième en course (Espagne), car on peut honnêtement lier ce résultat aux incidents du départ, mais de sa douzième position en Q1 lors des qualifications.

Malgré ses bonnes prestations, Leclerc continue de se montrer très critique lorsqu’il commet une faute. N’est-il pas trop exigeant envers lui-même ?

Non, pour la simple et bonne raison que l’on n’est jamais trop exigeant envers soi-même. En revanche, l’équipe doit davantage le tempérer quelquefois. Prenons l’exemple de Barcelone. Charles a peut-être raté l’occasion de terminer encore plus haut par excès d’enthousiasme. Il s’est retrouvé derrière Sainz à un moment donné et il a cru qu’il allait pouvoir se bagarrer avec lui. Tous les pilotes roulent en dedans en course afin de gérer la dégradation des pneus. La question est de savoir si on roule 5%, 10% ou 20% en dedans par rapport au rythme réel que l’on pourrait imprimer. Dans l’excitation, Charles a voulu se battre avec Carlos et il a trop tapé dans les pneus à ce stade-là de la course. Il l’a ensuite payé en fin de Grand Prix face à Alonso et Perez.

« Charles doit apprendre à faire la part des choses. Il doit adopter une posture différente entre ce qu’il raconte à la presse et ce qu’il partage avec nous dans l’intimité de l’équipe »

N’est-ce quelque part pas logique de commettre ce genre d’erreur d’appréciation lorsque l’on est novice au plus haut niveau ?

Complètement. Avec plus d’expérience, il se serait rendu-compte que Sainz n’était pas un objectif atteignable pour nous et qu’il aurait dû adopter un rythme beaucoup plus conservateur. Mais c’est toujours facile à dire après coup. On parlait de stratégie tout à l’heure (pendant le petit-déjeuner ndlr) et des courses gagnées ou perdues par Lewis (Hamilton) sur ce facteur-là. On ne connaît les conséquences qu’à posteriori. Je me souviens d’une course en GP2 avec Vandoorne à Monaco. On s’arrête au premier safety-car puis une deuxième voiture de sécurité effectue son entrée en piste dix tours plus tard. On perd la course. Après coup, on s’était fait pourrir par tout le monde (rires). Je leur ai répondu : « vous êtes bien gentils les gars, mais depuis le muret des stands on ne sait pas qu’une deuxième safety-car va rentrer. Bien sûr qu’à la fin tout le monde voit que deux voitures de sécurité ont neutralisé la course ! »

Parvenez-vous tout de même à tirer des enseignements positifs de telles courses ?

Ce genre de péripéties de course, il faut les prendre comme autant de leçons dont on tirera les bénéfices plus tard. Dans ce cas précis, on s’est dit : « si une autre safety-car intervient vingt tours plus tard, tout le monde s’arrêtera pour chausser un train de pneus frais. D’ici là on a donc intérêt à pousser. » Pour en revenir à Charles, je pense qu’il gagne simplement en expérience. Le fait que vous le trouviez tout à l’heure hypercritique envers lui-même parfois, c’est très bien. Ok de temps en temps il l’exprime avec des mots un peu crus notamment à la radio. J’essaye d’ailleurs de le calmer à ce sujet (sourire). Je ne l’ai pas trop évoqué devant lui, mais un Hamilton avec qui j’ai collaboré pendant deux ou trois ans, est l’un des gars à m’avoir le plus souvent dit : « aujourd’hui j’ai mal conduit. » Je ne donnerais pas de noms, mais certains ne me l’ont jamais dit.

Lerclerc à l’inverse n’hésite pas à s’auto-flageller en public …

Oui. Charles a aussi cette tendance à analyser très vite ce qu’il fait mal d’où cette propension à être très critique envers lui-même. Cette exigence constitue une excellente chose pour une équipe. Après, il faut savoir garder une certaine retenue devant la presse à un moment donné ou du moins ne pas l’exprimer trop ouvertement devant les médias. En début d’année, il a commis des erreurs et il a un peu payé son honnêteté. Il reconnaissait ouvertement ses fautes et cela se retournait un peu contre lui. Dans la presse anglaise, on pouvait ainsi lire : « Leclerc : I’m too stupid. » On le sait, les Anglais sont toujours un peu plus critiques avec un pilote étranger et c’est pour cette raison que Charles doit apprendre à faire la part des choses. Il doit adopter une posture différente entre ce qu’il raconte à la presse et ce qu’il partage avec nous dans l’intimité de l’équipe.

Propos recueillis par Andrea Noviello

Charles Leclerc Frédéric Vasseur Monaco
Vasseur regrette qu’un excès d’enthousiasme ait privé Leclerc d’une meilleure place à Barcelone.
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