Thierry Boutsen : « La F1 est trop dirigée par la technologie et par l’argent » (1/2)

Thierry Boutsen Sportel Monaco
Thierry Boutsen défend les consignes d'équipes imposées par Toto Wolff la saison passée en Russie.
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De retour sur le Sportel Monaco quatre ans après sa précédente visite, Thierry Boutsen dresse un état de lieux sans concession de la Formule 1 contemporaine.

Il n’a certes pas le pedigree d’un Jacky Ickx, mais du haut de ses onze saisons en Formule 1, Thierry Boutsen peut tout de même se targuer d’une chose : il reste, encore aujourd’hui, le dernier pilote belge vainqueur d’un Grand Prix. Ce succès, le troisième après le Canada et l’Australie en 1989, l’ancien pilote Williams l’a conquis de haute lutte le 12 août 1990 dans la touffeur de Budapest (Hongrie). Au prix d’un combat haletant face à l’un de ses rares amis dans le paddock Ayrton Senna, Boutsen enlevait cet après-midi-là son ultime victoire au volant d’une F1. Quelques jours plus tard, le Bruxellois apprenait via un fax envoyé dans son appartement monégasque que l’écurie britannique lui préférait Riccardo Patrese pour épauler le revenant Nigel Mansell en 1992. Cantonné dès lors à un rôle de figurant au sein d’écuries de seconde zone, Boutsen allait poursuivre sa route sur les circuits du monde entier pendant trois saisons avant de définitivement ranger son casque au soir de son 163ème départ en F1. Actif pendant encore six longues années sur le front de l’endurance, il décrocha notamment trois podiums dans la Sarthe (1993, 1994 et 1996), le natif de Bruxelles prenait la (sage) décision de définitivement renoncer à la compétition après son terrifiant accident des 24 Heures du Mans 1999. Reconverti avec brio dans le secteur de l’aviation d’affaires, le résident monégasque mène depuis son départ des circuits une toute autre vie, moins périlleuse, mais toute aussi trépidante. Constamment sur le qui-vive, celui qui gère un florissant business de vente et de courtage de jets privés depuis près de 22 ans maintenant s’est autorisé un petit moment de répit le temps d’une (courte) visite sur le salon international du sport et des médias, le Sportel Monaco. Convié à donner son opinion sur la Formule 1 moderne et ses multiples dérives, Boutsen ne s’embarrasse pas de formules policées et autres discours stéréotypés, prenant au contraire le contrepied du politiquement correct pour livrer une analyse mordante, mais lucide du sport qui lui a, jadis, permis de porter haut les couleurs du plat pays.

Williams a conclu le championnat 2018 de Formule 1 à la dernière place du classement constructeurs, une première dans l’histoire du team britannique. Êtes-vous attristés par le sort de votre ancienne écurie ?

Les Williams n’accusent pourtant qu’1,5 seconde, 2 secondes de retard sur les machines de devant. Elles ne sont pas loin, mais cela suffit pour se retrouver dernier. Le plateau actuel de la Formule 1 est trop limité et cela explique en partie leur position au championnat. Si le plateau se composait de 26 voitures comme autrefois, les Williams évolueraient sans doute dans les 15 premiers. Leur situation est vraiment regrettable, mais rester jeune longtemps n’a jamais été une chose facile (éclat de rire). Il faut être jeune pour gagner en F1. On l’a vu dans le passé avec Tyrrell ou avec d’autres écuries historiques qui ont progressivement perdu la main. Elles commencent par perdre de la vitesse, puis de la compétitivité et bien souvent elles finissent malheureusement par disparaître.

L’écurie Mercedes a connu un dernier exercice diamétralement opposé à celui vécu par Williams, coiffant de nouveau les deux couronnes mondiales en 2018. L’équipe dirigée par Toto Wolff a toutefois défrayé la chronique la saison passée en remettant au goût du jour les très controversées consignes d’équipe à Sotchi. La firme à l’étoile n’aurait-elle pas dû laisser le sport prévaloir plutôt que de manipuler, comme elle l’a cyniquement fait, l’issue de ce Grand Prix de Russie ?

Si on voit ça du côté sportif, oui. Clairement. En revanche, si on observe la chose sous l’angle de l’écurie, alors la réponse est non. Le règlement autorise les consignes d’équipe donc pourquoi Mercedes s’en priverait-elle ? En fin de compte, une écurie de Formule 1 n’a qu’un seul et unique objectif : voir l’un de ses deux pilotes sacré champion du monde en fin de saison. Or, à ce stade du championnat Hamilton était en tête. L’équipe devait donc le favoriser peu importe si Bottas était meilleur ce jour-là en Russie. Les deux voitures sont là pour faire triompher l’écurie. Point. Le team voulait voir gagner Lewis, car Valtteri n’était pas en mesure de jouer le titre en 2018. Toto Wolff a, dès lors, eu complètement raison d’aider Hamilton.

« D’un point de vue purement sportif, il vaudrait peut-être mieux qu’il n’y ait plus de championnat du tout. Tout le monde pourrait alors gagner des courses. Mais à l’heure actuelle, le championnat existe et il faut en tenir compte » 

En balayant d’un revers de la main ses beaux préceptes d’équité et de sportivité entre ses deux pilotes, Mercedes ne risque-t-elle pas de définitivement entacher la belle image que l’écurie s’était construite depuis son retour au sommet ?

C’est effectivement un risque, mais je suis assez d’accord avec le choix opéré par Toto (Wolff). Il n’est pas le premier et il ne sera très certainement pas le dernier à prendre une telle décision. Jean Todt avait eu recours aux consignes d’équipe avant lui. Beaucoup d’autres personnes ont également fait la même chose. Dans le temps, une telle prise de position au sein d’une écurie était considérée comme normale. On ne se posait même pas la question. On laissait simplement passer l’équipier mieux placé au championnat du monde. Aujourd’hui, la presse critique le moindre ordre d’équipe et tout le monde réagit derrière. D’un point de vue purement sportif, il vaudrait peut-être mieux qu’il n’y ait plus de championnat du tout. Tout le monde pourrait alors gagner des courses. Mais à l’heure actuelle, le championnat existe et il faut en tenir compte.

La prépondérance prise par les filières en Formule 1 a fait naître un autre problème de « manipulation » des courses, les pilotes appartenant à un top team s’effaçant grossièrement devant une monoplace de leur écurie mère sans combattre. Trouvez-vous cela normal ?

La F1 moderne est très différente de ce qu’elle a été. On jouissait de nettement plus de liberté par le passé. Le côté humain était, aussi, beaucoup plus important qu’aujourd’hui. La F1 est trop dirigée par la technologie et par l’argent de nos jours. Il faut obtenir des résultats tout de suite, sinon on abandonne la discipline ou on change de voie. Les choses étaient bien différentes par le passé. Le côté humain de la Formule 1 a un peu disparu et je trouve cela très dommage.

« Enlevez les équipes B et il n’y a tout simplement plus de F1 ! L’important est d’avoir 20 voitures au départ. C’est même primordial. Si on tombe en dessous de 20 autos … » 

Le renforcement de plus en plus affirmé du modèle Haas-Ferrari a suscité bon nombre de crispations la saison dernière à l’intérieur du paddock. L’émergence d’équipes B ne risque-t-il pas à terme de décrédibiliser la Formule 1 ?

Enlevez les équipes B et il n’y a tout simplement plus de F1 ! L’important est d’avoir 20 voitures au départ. C’est même primordial. Si on tombe en dessous de 20 autos … Toutes les écuries n’ont pas le budget de Ferrari ou de Mercedes. Quelle équipe privée peut aujourd’hui se permettre de dépenser 350 millions de dollars pour espérer atteindre le même niveau que les deux teams précédemment cités ? Aucune. Elles ne sont que trois aujourd’hui à pouvoir prétendre à de tels budgets et encore Red Bull a beaucoup moins d’argent que Ferrari ou Mercedes.

Pourquoi des équipes de milieu et de fond de grille seraient-elles devenues incapables de construire leur propre châssis quand une écurie comme Minardi y parvenait parfaitement à votre époque ?

Oui, mais construire un châssis était nettement plus facile par le passé. On mettait juste du carbone, on fixait les suspensions et c’était parti. On roulait. Aujourd’hui, c’est impossible ! Les voitures sont devenues tellement complexes …

Ne faudrait-il justement pas simplifier les F1 ?

Ça, c’est un autre débat. Il faudrait repartir complètement de zéro (rires). Bonjour !

Propos recueillis par Andrea Noviello

Thierry Boutsen Williams 1989
Thierry Boutsen regrette la liberté dont jouissaient les pilotes de son époque en Formule 1.
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