Piégé par la neutralisation de la virtual safety-car, Charles Leclerc n’a pu décrocher qu’une maigre troisième place lors du Grand Prix de Russie, seizième manche de la saison 2019 de Formule 1. Battu par des Mercedes opportunistes, le Monégasque profite néanmoins de l’abandon de son coéquipier Vettel pour consolider sa troisième place au championnat pilotes.
Il aurait dû pavoiser. Exulter. Savourer sa revanche. Une semaine après le couac de Singapour (l’undercut offert par Ferrari à son coéquipier Vettel a permis à l’Allemand de lui souffler la victoire à Marina Bay), Charles Leclerc devait retrouver les honneurs de la gloire dans le parc olympique de Sotchi. C’était écrit : tout autre résultat qu’un nouveau doublé de la Scuderia au pays de Vladimir Poutine serait vécu comme un échec cuisant tant l’écurie la plus titrée de l’histoire avait terrassé la concurrence la veille en qualification. Héro d’une séance qualificative qu’il avait écrasé de tout son talent, le Monégasque devait logiquement convertir l’essai en course et ainsi ranger aux oubliettes le malaise né du tour de passe-passe stratégique opéré par Ferrari sur les terres de l’ancienne colonie britannique. Sûr de sa force et de celle de son écurie, l’enfant prodige de la Principauté ne s’attendait très certainement pas à vivre un Grand Prix de Russie aussi décousu. Aussi malchanceux. En un mot, aussi raté. C’est bien simple rien n’a tourné dans le sens du petit protégé de Nicolas Todt sur les bords de la mer Noir.
Du départ où le jeu de l’aspiration planifié en amont par les hommes de Mattia Binotto allait permettre à Vettel de lui subtiliser les commandes de la course, au refus de ce même Vettel de se plier aux consignes d’équipe de la Scuderia dans les premiers tours, en passant par l’arrêt (trop) prématuré du natif de Monaco à son stand à l’abandon de son voisin de garage et la neutralisation sous régime de voiture de sécurité qui en découle, Leclerc a vu les éléments contraires s’abattre inéluctablement sur le museau de sa Ferrari. Promis à la victoire avant même de s’installer à bord de sa SF90, le champion 2017 de Formule 2 a finalement dû se contenter d’une fade troisième place au cœur de la station balnéaire russe, la faute à une succession d’erreurs du team transalpin qui allait faire le bonheur des Mercedes de Lewis Hamilton et de Valtteri Bottas. « On n’a pas eu de chance aujourd’hui, souligne un brin fataliste le pilote flanqué du numéro 16. Avec cette safety-car malheureuse, terminer troisième était la meilleure position que l’on pouvait envisager. Je suis bien évidemment content de monter sur le podium, mais il est dommage d’avoir perdu une voiture aujourd’hui. »
Ferrari s’emmêle (encore) les pinceaux
Lucide sur l’avantage tout théorique dont il dispose du fait de sa position de pointe sur la grille, Leclerc exécute à merveille le plan mis en place par Ferrari avant le départ en réalisant un envol de bonne facture d’abord, puis en « tirant » grâce au phénomène de l’aspiration la monoplace sœur de Vettel. Dépassé par le quadruple champion du monde dans le virage 2, le Monégasque cède d’entrée les commandes des opérations à son voisin de garage sans se douter que ce dernier n’a pas franchement l’intention de lui rendre la pareille. « La tactique était d’offrir l’aspiration à Sebastian pour que l’on soit premier et deuxième au bout de la ligne droite, explique le champion 2016 de GP3 en interview d’après Grand Prix. C’est ce que j’ai fait. Je devais simplement l’aider à doubler Hamilton et éventuellement le laisser passer si besoin, mais on aurait dû ensuite échanger les positions. Je ne comprends pas bien pourquoi les choses ne se sont pas déroulées ainsi. J’aurais dû conserver la tête au départ. » Injustement (selon lui) dépossédé de la place qui lui revient de droit, le protégé de Nicolas Todt s’agace rapidement de la situation par radio, laissant ainsi resurgir les démons de Marina Bay.
D’abord rassuré par les siens, Ferrari demande à Vettel de s’effacer devant l’enfant prodige de la Principauté dès le 6ème tour, Leclerc voit ensuite la Scuderia changer son fusil d’épaule en repoussant l’échange des positions lors des arrêts au stand. Incapable de tenir le rythme imprimé par le natif d’Heppenheim (l’écart entre les deux hommes grimpera même au-dessus de la barre des quatre secondes), le fer de lance de la Ferrari Driver Academy éprouve, également, les pires difficultés à contenir la Mercedes d’Hamilton à distance respectable. Relativement confortable en début de Grand Prix, le delta entre sa monoplace et la flèche d’argent du quintuple champion du monde commence dangereusement à fondre à partir du 15ème passage, contraignant la Scuderia à rapatrier son jeune poulain plus tôt que prévu dans la voie des boxes. Rentré monté les gommes médiums dans la 23ème boucle, le natif de Monaco reprend la piste en quatrième position et s’attarde aussitôt à regagner le temps perdu à la fin de son premier relais.
« Nous avions le niveau pour devancer Valtteri »
Aidé dans sa quête par la supériorité manifeste de ses pneus neufs (il tourne deux secondes au tour plus vite que Vettel), le pilote Ferrari prend logiquement l’avantage sur « Baby-Schumi » après l’arrêt de l’ancien petit chouchou d’Helmut Marko au 27ème tour, se replaçant ainsi dans la peau du leader virtuel de cette seizième étape de la saison 2019. La situation enfin revenue à la normale entre lui et son farouche rival à Maranello, Leclerc pense alors (à tort) qu’il n’a désormais plus rien à craindre de quiconque. C’était sans compter toutefois sur un dernier coup de vice (bien involontaire cette fois) de l’Allemand. Trahi par une défaillance du système hybride de sa monoplace, Vettel ralentit subitement son allure au 28ème passage avant d’immobiliser sa SF90 mortellement touchée au niveau du MGU-K dans une zone de dégagement. Son coéquipier l’ignore, mais ses rêves de succès en Russie viennent de s’envoler. Comme toujours exagérément précautionneuse dans pareille occasion, la direction de course neutralise le Grand Prix sous régime de virtual safety-car, offrant ainsi aux deux Mercedes un pit-stop « gratuit » ou presque en temps.
Dépossédé de la tête de l’épreuve par Hamilton sur ce coup du sort, Leclerc va également devoir abandonner la deuxième place à l’autre flèche d’argent de Bottas quelques tours plus tard, Ferrari préférant le rappeler à son box au 31ème passage pour rechausser un train de pneus tendres au moment de l’entrée en piste de la vraie voiture de sécurité (consécutive à la sortie de George Russell). Rejeté au troisième rang derrière le duo Hamilton-Bottas, le Monégasque ne peut désormais plus rien espérer. Il devra se contenter de la dernière marche du podium à Sotchi. « Les Mercedes sont toujours très rapides, constate avec amertume l’enfant prodige de la Principauté dans le carré des interviews. De notre côté, on avait des performances régulières. On doit toutefois continuer à travailler pour comprendre les faits de course et s’améliorer. Nous avions le niveau pour devancer Valtteri (Bottas), mais je surchauffais mes pneus dès que je me rapprochais à moins d’une demi-seconde. Je n’arrivais pas à revenir davantage. » Débarqué en Russie avec l’ambition de conquérir un troisième succès en 2019, Leclerc n’a certes pas ajouté une nouvelle ligne à son palmarès à Sotchi, mais a tout même assuré l’essentiel en consolidant sa troisième place (il compte désormais 215 points contre 194 points à Vettel) au championnat pilotes.
Andrea Noviello
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