Porté par un envol de rêve et une stratégie toute aussi parfaite, Lewis Hamilton a tranquillement remporté le Grand Prix de Singapour, quinzième manche de la saison 2018 de Formule 1. Capable de contrôler le rythme d’un bout à l’autre de la course, le pilote Mercedes empoche la 69ème victoire de sa carrière et renforce sa position de leader au championnat. Défait par Max Verstappen dans le combat pour la deuxième place, Sebastian Vettel monte sur la dernière marche du podium, mais voit son retard sur Hamilton se chiffrer désormais à 40 points.
Sa stratosphérique 79ème pole position en carrière avait annoncé la couleur : dans les rues surchauffées et particulièrement traîtres de Marina Bay Lewis Hamilton évolue, cette année, un très net cran au-dessus des autres. Voir même deux. Si certains septiques ne voyaient dans l’exploit du Britannique qu’un coup d’éclat ponctuel, ils ont fini par se résoudre à accepter l’évidente supériorité du Britannique à Singapour. Galvanisé par sa prouesse de la veille, le quadruple champion du monde n’a, en effet, jamais laissé à quiconque l’espoir de venir le déloger de sa première place en course. Parfait au moment de s’extraire de son emplacement de pointe sur la grille, le natif de Stevenage a ensuite tranquillement déroulé sa partition, se contentant de surveiller à distance l’avancée de son dauphin Verstappen et de rehausser le rythme à chaque fois que cela fut nécessaire. Autant l’avouer tout de suite : l’Anglais n’a pas franchement eu à forcer son talent pour empocher sous la lumière artificielle des projecteurs sa septième victoire de la saison.
Sa seule frayeur, si toutefois on peut la qualifier de la sorte, il l’a connu peu après la mi-course alors qu’il s’apprêtait à prendre un tour à un groupe de retardataires composé, entre autres, de Romain Grosjean et de Sergey Sirotkin. Trop occupés à se livrer une bataille de chiffonnier pour le gain d’une insignifiante treizième place, les deux hommes ont failli causer la perte du leader du championnat en oubliant ouvertement de s’écarter devant lui. Mais il en fallait (beaucoup) plus pour troubler la sérénité du fer de lance de la firme à l’étoile en ce dimanche après-midi. Au lieu de bêtement se précipiter au risque de tout perdre, Hamilton a tranquillement laissé les deux belligérants en terminer avant de porter son attaque et de reprendre ainsi un rythme survolté qui allait l’amener jusqu’à son 69ème succès en carrière. « Certains retardataires ont été incroyablement difficiles à dépasser, constate le pilote flanqué du numéro 44. Une fois ceux-ci passés, j’ai pu mettre le pied au plancher et creuser l’écart. J’ai l’impression que c’était la course la plus longue de ma vie. Quelle journée, quel week-end ! »
Ocon noir c’est noir
En pole pour la septième fois de la saison, Hamilton ne tremble pas au signal du starter, prenant d’entrée la direction des opérations devant la Red Bull de son dauphin sur la grille Max Verstappen et la Ferrari de son rival au championnat Sebastian Vettel. Si l’enfilade des premiers virages n’occasionne pas le moindre dégât chez les gros bras, il n’en est pas tout à fait de même au cœur du peloton. Longtemps restés éloignés l’un de l’autre après leurs multiples crêpages de chignon de l’an dernier, Sergio Perez et Esteban Ocon se touchent bêtement en sortie du virage 3, « Checo » envoyant son malheureux coéquipier fracasser sa VJM11 dans le mur à la suite d’une manœuvre qu’il qualifiera après coup de non intentionnelle. « S’accrocher ainsi alors qu’il n’y pas de dégagement est tout bonnement inacceptable, fulmine au micro de Sky Sports le directeur de Force India, Otmar Szafnauer. Ils doivent se laisser de la place. Une fois qu’ils sont dans la voiture nous ne pouvons pas contrôler ce qu’ils font, mais nous allons désormais veiller à contrôler ce qui est contrôlable. »
Automatiquement neutralisée sous régime de voiture de sécurité, le temps (ce sera encore une fois très long) d’évacuer l’épave d’Ocon et les nombreux débris éparpillés sur la piste, la course reprend ses droits au 5ème tour sous le commandement de l’imperturbable Hamilton et de son nouveau dauphin Vettel, l’Allemand ayant profité de la vitesse de pointe de sa Ferrari pour griller la politesse à Verstappen juste avant le déclenchement de la safety-car. Volontairement attentiste en début de Grand Prix, il roule douze secondes plus lentement que son meilleur chrono des qualifications, le pilote Mercedes déclare très vite, dès le 11ème passage, « ne plus avoir grand-chose dans ses pneus ». Une ruse à laquelle la Scuderia et son pilote vedette refusent logiquement de croire, ce qui ne va pas pour autant les empêcher de se prendre (une nouvelle fois) les pieds dans le tapis en matière de stratégie. Alors que les chronos sensiblement à la hausse d’Hamilton dans les boucles suivantes prouvent que son supposé problème de gommes n’était qu’un leurre, Ferrari choisit malgré tout d’anticiper l’arrêt de son leader à la fin du 14ème tour.
Ferrari se saborde
Pire, au lieu de monter les pneus tendres et ainsi s’assurer de voir le drapeau à damier sans avoir à repasser par la case box, les mécaniciens de Maranello chaussent la machine du quadruple champion du monde de gommes ultratendres, une erreur qui ne sera pas sans conséquences pour le natif d’Heppenheim. Si le leader Hamilton met aussitôt le holà aux ambitions d’« undercut » de Vettel en s’arrêtant à son box dès la boucle suivante pour équiper sa Mercedes de pneus tendres, le troisième larron de cette lutte au sommet, Verstappen, poursuit, lui, sa route jusqu’à la fin du 17ème passage avant de finalement sacrifier à son arrêt obligatoire. Gêné pendant près de deux tours par la Force India de Perez, Vettel a perdu plus de trois secondes dans l’opération et lorsque la Red Bull déboule de la pit-lane à l’issue d’un arrêt pourtant loin d’être idéal (problème d’ancrage de la roue avant-droite et redémarrage pénible en seconde), « Baby-Schumi » doit s’incliner, tombant à une troisième place qu’il ne quittera plus jusqu’à l’arrivée.
« Nous avons essayé d’être agressifs, mais cela n’a pas fonctionné, explique l’Allemand pour tenter de justifier la nouvelle bourde stratégique de la Scuderia. Dans l’ensemble, nous n’étions pas suffisamment rapides aujourd’hui. Nous n’avions tout simplement pas le rythme en course. » L’identité des trois hommes de tête ainsi que leur ordre d’arrivée (Hamilton-Verstappen-Vettel) ne faisant d’or et déjà plus aucun doute, seule la lutte pour les accessits va animer la suite d’un Grand Prix pas franchement emballant. Remonté en dixième position à la faveur de sa stratégie décalée, il s’est élancé en gommes ultratendres contre des hypertendres pour les dix premiers qualifiés sur la grille, le débutant Charles Leclerc se joue de la Toro Rosso à l’agonie de Pierre Gasly au 26ème passage, grimpant à une neuvième position qui sera sienne jusqu’au baisser du drapeau à damier. Particulièrement bien négociée dans le giron Sauber et dans celui de McLaren, l’écurie britannique attendant elle-aussi le 38ème passage pour stopper son leader Alonso permettant ainsi à l’Espagnol d’émerger au septième rang, la stratégie aura en revanche plombé l’après-midi de Perez.
Le coup de sang de Perez
Solide septième avant son arrêt précipité du 17ème tour, le Mexicain se retrouve, depuis, bloqué derrière la Williams beaucoup plus lente de Sergey Sirotkin. Malgré plusieurs tentatives d’intimidation dans l’épingle du virage 13, « Checo » ne trouve pas l’ouverture et commence progressivement à monter en pression. Agacé par la défense, pourtant irréprochable du Russe, le pilote Force India finit par dégoupiller au 34ème passage au terme d’une jolie empoignade avec le Moscovite. Quasiment sorti vainqueur d’un mano-à-mano virile qui se sera prolongé pendant deux virages, le natif de Guadalajara décide de subitement mettre un terme au combat en infligeant un grossier coup de volant à son adversaire. « Il m’a bien tamponné, confirme à sa descente de voiture Sirotkin. Le côté droit de mon auto était très endommagé. Après ce gros contact, la suite du Grand Prix s’est résumé à une opération survie. » Victime d’une crevaison à l’arrière-gauche, Perez va, lui, vivre une fin de course plus compliquée encore, le protégé de Carlos Slim écopant d’une sanction (un drive-through en l’occurrence) aussi ridicule que son geste et qui le condamne à végéter en queue de peloton jusqu’au drapeau à damier.
Débarrassé de celui qu’il aura su maintenir derrière lui pendant une grosse quinzaine de tours, Sirotkin ne peut pas se relâcher pour autant, le Russe devant désormais se coltiner la Toro Rosso de Brendon Hartley et la Haas de Kevin Magnussen. Si le Danois se révèle beaucoup trop difficile à contenir, le pilote Williams oppose une résistance des plus farouches au Néo-Zélandais, allant même jusqu’à outrepasser les limites de l’acceptable en oubliant volontairement de tourner au 45ème passage au risque d’envoyer le « Kiwi » s’encastrer dans les barrières Tecpro. Pénalisé de cinq secondes pour cet écart de conduite, Sirotkin purgera sa sanction lors d’un second changement de pneus qui le rétrogradera à la peu enviable place de lanterne rouge. Loin de tous ces tracas, l’incontestable vainqueur Lewis Hamilton pouvait de son côté jubiler. En infligeant une nouvelle déculottée à Vettel et à Ferrari sur un tracé pourtant censé favoriser les qualités de la SF-71H, l’Anglais assoit un peu plus sa domination au championnat, il compte désormais 40 points d’avance sur l’Allemand, et renforce son ascendant psychologique avant la tournée finale de cette éreintante cuvée 2018.
Andrea Noviello
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